Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Une BD atmosphérique est parue aux éditions Virages Graphiques à la rentrée 2022, une BD minimaliste toute en tons chauds et cadrages photographiques, une BD qui sent le sel sur la peau et le soleil dans les yeux. Scénarisée par Valérian Guillaume et dessinée par Cécile Dupuis, elle s'appelle "L'ombre des pins" et distille une douce nostalgie au fil de son histoire de rencontre amoureuse et artistique. Plongée dans les coulisses de sa création avec Cécile Dupuis, qui nous offre un beau making-of en mots et en images.
Comment est née cette BD ?
À l’origine, « L’ombre des pins » est mon projet de diplôme (Diplôme National des Métiers d’Art et du Design, Images et narration à l’École Estienne - 2021). Dès ma sortie de l’école, j’ai eu la chance d’être contactée par Sonia Déchamps me proposant de rejoindre la collection Virages graphiques. Nous étions toutes les deux d’accord pour publier « L’ombre des pins » mais pas tel quel. Sonia m’a alors présentée à Valérian Guillaume, auteur et metteur en scène de théâtre, avec qui, nous avons retravaillé sur un nouveau scénario.
Comment se conçoit une BD, spécialement une BD minimaliste?
Cécile:Pour cette BD, je suis partie d’un sentiment, d’une émotion indicible que j’éprouve face à l’été. L’été est une saison à laquelle je tiens beaucoup : elle résonne fort avec mon enfance et m’inspire au quotidien dans mon travail. Ma réflexion principale est : Comment retranscrire graphiquement la sensation de l’été? Sensible aux oeuvres d’Éric Rohmer, de Jacques Deray ou encore de Marguerite Duras, dans « L’ombre des pins », mon envie était de considérer l’été comme un personnage à part entière et non, seulement, comme un contexte spatio-temporel. J’ai, en quelque sorte, dressé son portrait : ses paysages, sa temporalité, son appel à la contemplation, ses micro-événements, tous ces éléments qui créent une atmosphère bien spécifique à cette saison.
J’ai d’abord pensé « L’ombre des pins » comme un film. Pendant le storyboard, je décomposais le film : un plan = une case, et pour traduire le temps, je variais le nombre et la densité des cases.
Ce jeu de rythme est aussi très relié à la musique : un équilibre entre le silence et le brouhaha des émotions, des formes, du vide et du plein, de l’ombre et de la lumière…
Au niveau du travail entre scénariste et dessinatrice, y a-t-il des particularités propre sà une écriture avec peu de dialogues?
Entre Valérian et moi, il y a eu beaucoup de dialogues mais en dehors de la page ! Dans ce genre de BD, le silence en dit plus que les mots. Et c’est là qu’opère la magie du dessin.
Combien de temps avez-vous mis à réaliser cet album, de l’idée d’origine à l’aboutissement ?
Cette BD a été réalisée en très peu de temps, 5 mois, un véritable marathon ! Pour la deuxième version, je savais exactement ce que je voulais raconter et la direction vers laquelle je voulais aller. Par ailleurs, l’univers graphique : l’environnement de l’été, les personnages, les lieux, était déjà présent ce qui m’a fait gagner beaucoup de temps. J’aime travailler sous pression, cela me permet de me mettre dans un rythme qui exclut toute procrastination (ma pire ennemie!). Je me levais à 4h30 du matin et alignais une journée de 16h de travail. Cela me plongeait dans un état de transe…
Diriez-vous qu’il s’agit d’une histoire d’amour d’été, d’émancipation, de découverte, de vacances ? Comment résumeriez-vous en quelques mots cet album?
C’est un peu tout cela à la fois mais c’est, avant tout, une mise en scène du temps suspendu. C’est ce temps avant la vie d’adulte, où tout est encore possible, où l’on est sommé de se construire et de se trouver une identité.
C’est un voyage initiatique, une invitation à entrer dans le regard de ces deux adolescents à travers leur quête de l’invisible (mais aussi d’eux-même), par la photographie. Nous suivons le déploiement de leur poésie au regard de ces paysages maritimes dans lesquels leurs rêves, leurs songes sont projetés et renvoient à leur paysage intérieur.
L’association dessinatrice/scénariste s’est-elle faite en amont, ou est-ce une articulation proposée par la maison d’édition ? Qu’est-ce qui vous a amenés à travailler ensemble ?
C’est Sonia Déchamps, notre éditrice, qui nous a présentés. Initialement, Valérian devait intervenir sur mon scénario, réajuster les moteurs narratifs pour que l’histoire soit viable. Mais, nous avons finalement fait table rase pour laisser place à un nouveau scénario. Il y a eu, tout de suite, une alchimie entre nos deux créativités, ce qui a rendu le « travail » très joyeux !
Comment le travail s’est-il déroulé?
Nous nous donnions rendez-vous dans des cafés pour travailler. Après avoir établi les grands axes de narration, nous avons commencé le découpage ensemble, dans un format miniature. (Cf photo ci-dessus) Puis pour être comprise de Valérian et Sonia, j’ai agrandi le storyboard à un A6 plié en 2. (Cf photos 2&3) En une semaine, le découpage était terminé. Ensuite, passage du storyboard au crayonné à échelle 1 (taille d’une planche 20x27 cm), puis encrage à la plume et encre de Chine. La mise en couleur a été réalisée au numérique, sur Photoshop.
Quels sont vos secrets de travail, vos manies?
Je n’ai pas de secret de travail sinon le travail ! Mais celui qui revient souvent, c’est le doute. Je doute de tout, du rythme, de la composition, de la narration, des proportions… et cela m’oblige à prendre du recul, à ne pas rester dans ma zone de confort. Le doute, bien qu’il ne soit pas toujours confortable, est un moteur.
Quelles sont vos sources d’inspirations ? Vos univers de prédilection ?
Je me nourris beaucoup du quotidien, de ce qui m’entoure et de la nostalgie de l’enfance. Une réflexion m’accompagne partout : quel regard poser sur le monde ? Et à travers mon bagage culturel (un mélange de poésie, photographie (Martine Franck, Viviane Maier…), littérature (Marguerite Duras, Proust…) cinéma (films de la Nouvelle Vague, Fellini, Ingmar Bergman…) et de bande-dessinée (Come Prima d’Alfred, Cinq mille kilomètres par seconde de Manuele Fior…), j’y mets de la poésie.
Pratiquez-vous la photo, d’autres disciplines artistiques? En quoi nourrissent-elles votre art principal ?
Je pratique la photographie argentique, beaucoup en noir et blanc. En 2019, j’ai réalisé un reportage graphique sur les marins pêcheurs : une BD dans laquelle se mêlent photo et dessin. Le dessin et la photo se rejoignent sur l’art de la composition, des lumières et l’appréhension de l’espace. Pour ces deux pratiques, on enfile un regard différent de celui du quotidien usuel, un regard qui analyse, un regard qui prend son temps.
Je fais aussi de la danse (tango, folk, contemporaine) et de la musique (flûte traversière). Ces pratiques résonnent fort avec mon lien à l’espace, au mouvement et au rythme.
Le cinéma, parce qu’il fait partie de ma pratique indirectement, m’attire beaucoup. Un jour, je pense y venir… mais chaque chose en son temps !