[INTERVIEW] Julia Armfield : "J'ai écrit un roman qui récompense la relecture"

"Cérémonie d'orage" : un titre à la fois poétique et énigmatique pour un roman hybride, où les apparences sont trompeuses. Est-ce un roman écologique qui flirte avec le roman psychologique ? Un roman queer sur fond de dérèglement climatique ?

Interviews
Interviews
[INTERVIEW] Julia Armfield : "J'ai écrit un roman qui récompense la relecture"

Date
5/3/2025
Lecture
7 min
Partage
Tags
No items found.

"Cérémonie d'orage" : un titre à la fois poétique et énigmatique pour un roman hybride, où les apparences sont trompeuses. Est-ce un roman écologique qui flirte avec le roman psychologique ? Un roman queer sur fond de dérèglement climatique ? Un peu tout cela à la fois ? Virtuose dans sa construction et sa lecture psychologique, l'écrivaine anglaise Julia Armfield plonge au plus profond des mécaniques amoureuse, familiales et filiales. Comment parler lorsque l'on ne se connaît plus ? Que reste-t-il de l'amour de ces trois sœurs aux caractères si différents, meurtries par l'autoritarisme et la froideur de leur père, dont le décès les oblige à se retrouver ? Quelle est cette pluie persistante qui a déréglé les vies feutrées des londonien·nne·s ? Julia Armfield navigue avec aisance et subtilité sur ces eaux troubles, menant son navire littéraire d'une main sûre. Rencontre avec une écrivaine à la plume affirmée. 

Vous êtes une écrivaine primée, reconnue pour vos nouvelles et vos romans. Comment  êtes-vous venue à l'écriture ?
En toute honnêteté, l'écriture est simplement quelque chose que j'ai toujours fait, ce qui est une réponse un peu ennuyeuse, je le sais ! Je pense que le fait de canaliser mes frustrations de jeunesse de ne pas pouvoir terminer un roman vers la nouvelle a été essentiel, car m'habituer à la forme courte m'a permis de me développer et de soumettre mes travaux à des revues et à des concours, ce qui m'a vraiment lancée. Mon conseil aux écrivains débutants a toujours été : vous ne pouvez pas améliorer ce qui n'existe pas, alors mettre quelque chose (n'importe quoi) sur papier doit être votre priorité !

Vous écrivez des nouvelles – comment abordez-vous le travail avec différents genres littéraires ? Qu'est-ce qui guide votre choix vers une forme ou une autre ?
Les nouvelles ont été mon point d'entrée – elles m'ont permis d'affiner mon style dans un espace relativement limité et de perfectionner ma prose pour aboutir à un point unique, souvent simple. Les romans, quant à eux, m'ont obligé à me concentrer sur les personnages et à faire le travail de "structure" que les nouvelles ne nécessitent pas forcément. Je pense que les deux formats se soutiennent mutuellement, et le fait de développer mes compétences dans les deux a renforcé mon écriture.

Ce roman oscille entre la fiction psychologique et une sorte de fiction climatique, car le cadre londonien est très différent de celui que nous connaissons. Comment jouer avec les atmosphères vous offre-t-il une liberté créative dans votre écriture ?
Ce que je voulais réaliser avec ce roman, c'est la sensation, à la toute fin, que vous l'avez lu en vous trompant de genre. Je voulais écrire un roman qui obligerait le lecteur à revenir ensuite et à noter tous les signes qu'il avait peut-être manqués – un roman qui récompense la relecture. J'ai toujours mélangé et juxtaposé les genres, mais dans le cas de ce roman, je voulais que le choc des genres et des atmosphères reflète la sensation de vivre dans une crise climatique. Les personnages du roman pensent qu'ils sont dans un genre, mais découvrent qu'ils sont en réalité dans un autre, et cela ressemble à ce que l'on ressent, selon moi, en vivant dans un état de catastrophe perpétuelle. Nous pensons vivre dans un cadre réaliste – un quotidien où nous devons payer notre loyer, aller travailler et agir normalement – mais en réalité, la toile de fond de nos vies est quelque chose de plus horrible, de plus désastreux. Je voulais jouer avec ce choc des genres et voir ce qui en ressortait.

Vos personnages principaux sont des femmes, mais aussi lesbiennes et queer, ce qui est encore relativement rare. Est-ce une caractéristique récurrente dans votre écriture ?
Oui, c'est un sujet sur lequel j'ai les compétences pour écrire, et qui m'intéresse particulièrement. 

Quelle est votre perspective sur la diversité dans la littérature contemporaine ? Voyez-vous un changement en termes de mentalités et de visibilité ?
Je ne peux vraiment parler que de ce que je vois se passer dans l'édition britannique, mais je pense qu'il y a souvent une volonté de diversité qui repose davantage sur l'apparence que sur un véritable travail. Les gens veulent paraître diversifiés dans leur approche, mais je ne pense pas encore que l'on voie une grande variété de voix queer, trans ou issues de la diversité ethnique. Cela s'améliore, mais le capitalisme a toujours exigé une stabilité sociale plutôt qu'un développement social, et c'est toujours le cas.

Cérémonie d'orage. Julia Armfield. Traduction de l'anglais par Laetitia Devaux & Laure Jouanneau-Lopez. Editions La Croisée.

***

You are an award-winning writer, recognized for both your short stories and novels. How did you come to writing?

In all honesty, writing is just something I’ve always done, which I know is a boring answer! I think that channelling my early frustrations over not being able to finish a novel into short fiction was key, because getting used to short fiction both allowed me to develop and gave me space to submit work to journals and prizes, which is how I really got going. My advice to writers starting out has always been that you can't improve what doesn't exist, so getting something (anything) down on paper has to be your focus!

 

 You write short stories—how do you approach working with different literary genres? What guides your choice toward one form or another? 

Short stories were my way in – they allowed me to hone my style within the confines of a relatively limited space and to refine my prose towards a single, often basic, point. Novels, meanwhile, required me to focus on character and to do the heavy “scaffolding” work that short stories don’t necessarily require. I think both mediums prop each other up and having to develop my skills in both has made my writing stronger.

 

This novel oscillates between psychological fiction and a kind of climate fiction, as the London setting is very different from the one we know. How does playing with atmospheres provide you with creative freedom in your writing?

Something I wanted to achieve with this novel was the sensation, at the very end, that you have been reading it as the wrong genre all along. I wanted to write a novel which would require the reader to go back afterwards and note all the signs that they perhaps missed – a novel that rewards rereading. I have always mixed and juxtaposed genres but in the case of this novel, I wanted the clash of genres and atmospheres to mirror the sensation of living in climate crisis. The characters in the novel think they are in one genre but find they are actually in another and that is not unlike how it feels, to me, to live in a state of perpetual disaster. We think we are living in a realist setting – an everyday setting where we have to pay our rent and go to work and behave as normal – but actually the backdrop of our lives is something more horrific, something more disastrous. I wanted to play around in that clash of genres and see what came out.

 

Your main characters are women, but also lesbian and queer, which is still relatively uncommon. Is this a recurring characteristic in your writing?

Yes, it’s all I’m qualified to write about and all I’m particularly interested in writing about!

 

What is your perspective on diversity in contemporary literature? Do you see a shift happening in terms of mindsets and visibility?

I can really only speak for what I see happening in UK publishing but I think there is often a drive towards diversity that is predicated more on appearance than on people actually doing the work. People want to be seen to be diverse in their outlook, but I still don’t think you see a vast array of queer, trans or ethnically diverse voices. It’s improving, but capitalism demands social stasis over social development and always has.

Articles récents

[INTERVIEW] Les Éditions Faute de frappe

Âmes (et estomacs) sensibles : s’abstenir. Chez Faute de Frappe, on ne fait pas dans la dentelle. Rencontre avec un éditeur indépendant lillois qui fait plus dans l'hémoglobine et les tripes

[INTERVIEW]  Choi Mikyung & Jean-Noël Juttet : "La nouvelle est très populaire en Corée"

Le duo de traducteur·rice·s Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet livrent leur regard sur les particularités de l’écriture de ce recueil et les subtilités de la traduction du coréen. 

[INTERVIEW] Christophe Siébert & Morgane Caussarieu : des éditeurs à la marge

Le Diable a encore frappé ! Portée par l’infernal duo Morgane Caussarieu et Christophe Siébert, l’anthologie « Les Nouveaux Déviants », publiée par les éditions du Diable Vauvert, donne ses lettres de noblesse à l’étrange, la marge, l’underground.