Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Figure archétypale, la sorcière renaît des cendres des bûchers depuis plusieurs années. Si elle n'a jamais vraiment quitté la pop culture, elle n'en reste pas moins une figure souvent mal connue. Passionnée par cette entité marginale, l'autrice Julie Proust-Tanguy propose avec "Sorcières !" (paru aux Moutons Electriques) un beau panorama aux allures encyclopédiques. Des origines à sa représentation actuelle, de l'explication de ses clichés au dévoilement de secrets, la sorcière se livre.
Comment est né ce livre, pourquoi cette thématique ?
J’ai travaillé sur la première version de ce livre en 2013 avec l’idée d’offrir un pendant féminin à mon essai sur les Pirates : la sorcière et le pirate sont en effet deux figures de la marginalité, qui me hantent depuis l’enfance. Comme pour le premier archétype sur lequel j’ai travaillé, ce qui me fascinait dans cette figure, c’était son ambiguïté mais aussi sa longévité dans nos imaginaires. J’avais envie de comprendre pourquoi la sorcière agrégeait autour d’elle autant de contradictions, que l’on retrouvait au fil des siècles. J’étais aussi curieuse de savoir d’où provenaient les différents clichés que l’on associe à ce personnage et qui forme cette silhouette archétypale – certains de ces éléments sont pourtant assez récents ! La nouvelle version de mon essai (2022) prend en compte les dernières évolutions de l’archétype : je continue à être fascinée par son évolution.
Comment avez-vous travaillé ?
Je tenais à travailler de manière chronologique pour mieux suivre l’évolution de la sorcière à travers les arts : j’ai donc commencé par rassembler toutes les incarnations littéraires, artistiques, cinématographiques, etc… connues, pour observer les évolutions des clichés, la rémanence de certaines sorcières connues (Circé, Médée, Morgane, etc.), la transformation de l’archétype….
Je me suis ensuite documenté sur le contexte historique entourant chacune des apparitions de la sorcière, pour mieux saisir l’implication de ses métamorphoses, mais aussi lutter contre mes propres représentations de l’Histoire. Si mes études de lettres classiques m’ont ainsi amenée à beaucoup fréquenter l’Antiquité, le Moyen-Age m’est nettement moins familier : je l’associais d’ailleurs de manière injuste à la période des bûchers des sorcières, qui démarrent plutôt à la Renaissance. Ma vision de la période était entachée par un certain imaginaire dévoyé… qu’il m’a donc fallu détricoter, afin de comprendre d’où provenaient certains clichés absorbés lors de mes lectures de fictions. Il était en effet important pour moi, pour montrer le fonctionnement de l’archétype, de confronter « vision réelle » et « vision fantasmée » et d’évoquer tout autant Le Marteau des sorcières ou le remarquable travail de Guy Bechtel (La Sorcière et l’Occident), que les contes de fées ou Carrie. C’est la confrontation des sources et des sorcières de fiction qui m’a permis de mieux comprendre le fonctionnement de l’archétype.
Après ces recherches vient le travail de rédaction : je cherche avant tout, en écrivant, à proposer un travail de vulgarisation, qui pourra toutefois offrir quelques nouvelles pistes de réflexion à celles et ceux qui connaissent déjà bien le sujet. J’essaie aussi d’offrir une lecture dynamique, agréable, accessible. Je suis consciente que les essais ne sont pas les lectures privilégiées de bien des lecteurs, qui leur préfèrent de loin la lecture de romans : j’essaie donc de travailler mon style pour prouver que l’on peut s’instruire en s’amusant.
Comment s’est opéré le choix iconographique ?
J’avais à la fois une volonté d’illustrer, de manière très concrète, certains de mes propos, de redonner du relief à certaines images célébrissimes, mais aussi de partager un certain nombre d’œuvres chères à mon cœur – il sera ainsi très difficile de vous cacher mon amour pour l’art de la fin du XIXe siècle quand vous aurez feuilleté Sorcières !
L’iconographie est donc un mélange de photographies prises lors de mes voyages (par exemple au musée de la sorcellerie et l’inquisition de Rothenburg), de représentations célèbres voire attendues de la sorcière (Goya, Dürer, Füssli, Waterhouse) et de tableaux peut-être moins connus mais reflétant mon amour pour l’art décadent (Toorop, Vrubel, Mossa, Delville, Ranson). Le but est de proposer, visuellement, un voyage à travers les siècles (en s’arrêtant beaucoup au XIXe, je plaide coupable) qui complète la démonstration écrite.
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans la figure de la sorcière ?
En tant que femme, je suis bien sûr très attachée à ce qu’elle dit de la place de la femme au sein de la société – ce n’est pour rien que la figure de la sorcière est au centre de certains courants féministes depuis les années 70, avec un renouvellement de l’archétype avec chaque vague féministe. On l’a vu encore, récemment, avec le succès de l’essai de Mona Chollet ou la réutilisation de la figure de la sorcière ou de la figure du feu (soit associé aux bûchers, soit associé à l’idée de flamme sacrée, de puissance) dans les derniers mouvements féministes.
En tant que littéraire, je suis fascinée par la plasticité du mythe, son adaptation au sein de diverses sociétés ou de diverses cultures. Je trouve très intéressante l’évolution des divers clichés qui l’entourent, qu’il s’agisse de l’imaginaire de la potion magique, de la métamorphose ou de la nécessité d’avoir des familiers. J’ai beaucoup aimé retrouver l’origine et l’explication de ces clichés ou découvrir la relative modernité de certains d’entre eux (comme le chapeau pointu, par exemple, sans lequel on n’image plus aujourd’hui la sorcière).
Pensez-vous qu’il existe encore de la place dans les imaginaires pour un vrai lien au merveilleux ? Pas seulement pour un concept à la mode ?
Je pense qu’il y aura toujours de la place pour le merveilleux dans nos imaginaires : si certains concepts peuvent effectivement sembler liés à des effets de mode – je ne doute ainsi pas un seul instant qu’on m’accusera de surfer sur la vague de la mode des sorcières, sans se rendre compte que la première version de mon essai est antérieure à ce renouveau de la figure -, ils disent toujours fondamentalement quelque chose d’important sur nous-mêmes ou sur notre société… comme chaque mode, finalement.
Cette aspiration à l’imaginaire qui envahit nos écrans aujourd’hui et fait par exemple des geeks, figures méprisées dans les années 80, des figures presque banales aujourd’hui, montre bien que le merveilleux (peu importe qu’il soit scientifique, féérique…) finit toujours par s’imposer, d’une manière ou d’une autre. Et si l’on peut bien évidemment regretter le caractère éminemment commercial de la déclinaison ad libitum de certains concepts, je garderai personnellement toujours espoir de voir ce merveilleux prendre de nouvelles formes, qui me révèleront, en creux, les évolutions sociales que je n’aurai pas toujours pris le temps d’observer, toute noyée que je le suis dans la rapidité de circulation des informations ou dans les obligations de mon quotidien d’enseignante.