Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Enquête journalistique, littérature de genre, témoignages d’une époque révolue, ces trois livres composent, à leur manière, un drôle de patchwork. Leurs points communs ? Ils sont tous « américains », car issus du continent américain. Argentine, Chili, Etats-Unis, sans trucages, au coeur d’une certaine réalité, qu’elle soit concrète ou masquée par les atours de la science-fiction, les amériques se livrent.
Les suicidés du bout du monde. Leila Guerriero. Traduction de l’espagnol (Argentine) par Maïra Muchnik. La Patagonie, vaste région du Sud de l’Argentine, abrite son lot de mystères. À Las heras, ville fantôme, ex paradis du pétrole, les jeunes se suicident. Bien plus qu’ailleurs. Pourquoi ? Pourquoi les médias nationaux n’en parlent-ils pas plus que cela ? Que se passe-t-il dans ce Far West balayé par les vents violents ? Journaliste reconnue, figure majeure de la non-fiction argentine, Leila Guerriero s’est rendue dans cette petite ville, elle est allée à la rencontre des parents, voisin·e·s, ami·e·s de ces jeunes qui ont mis fin à leurs jours. Si les réponses n’émergent pas, quelles réponses les vivants pourraient-ils trouver, après tout, c’est un portrait en creux qui se dessine, entretien après entretien que Leila Guerriero mêle à un récit dont le style oscille entre documentaire et polar. Sans le moindre voyeurisme, elle peint la vie d’une ville étrange, loin de tout, où l’humanité lutte contre la solitude, contre l’absence d’avenir, malgré tout, malgré ces jeunes qui ont préféré la mort sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi. Ou que personne ne se l’avoue. Editions Rivages
Du sang sur la lune. Jim Tully. Traduction de l’anglais (USA) par Thierry Beauchamp. Longtemps, Jim Tully est resté de l’autre côté de l’Atlantique. Absurdité des choix éditoriaux, manque d’intérêt ou de pertinence de la part des éditeurs français, peu importe, car aujourd’hui, son oeuvre est désormais accessible aux lecteur·ice·s non anglophones grâce aux éditions du Sonneur. Après cinq titres, voici le sixième et dernier du « Cycle des bas-fonds », qui retrace la vie (ou plutôt « les vies ») de Jim Tully, garçon de ferme, hobo, boxeur et conseiller à Hollywood. En dehors de ce parcours de vie hors-normes et très « à l’américaine », Jim Tully était un conteur inégalé, un observateur de l’Amérique des laissés-pour-compte, un génial journaliste qui a su transformer ses mille vies en un inépuisable vivier d’histoires, parfois flamboyantes, souvent tristes. Né en 1886, Jim Tully décide de se lancer dans l’écriture dans les années 1920, grand bien lui en a pris. Grâce à lui, l’Amérique que les projecteurs n’éclaire pas, ceux qui n’accèdent pas au rêve américain, ceux pour qui les étoiles de la bannière ne brillent pas vraiment tous les jours, la véritable Amérique n’est pas tombée dans l’oubli. Loin des fastes hollywoodiens et sourires impeccables d’acteurs aux dents blanches, nombreux sont ceux qui vivent de train de marchandise en petits larcins, de violence et de solitude, d’alcool et de misère. Jim Tully leur rend hommage, chapitre après chapitre, sans jamais se défaire de ce regard tendre, loin de tout jugement, loin de tout misérabilisme, sans non plus tomber dans l’écueil d’une esthétique surfaite, comme s’en chargera la beat generation. Jim Tully parle vrai, et nous français pouvons enfin en profiter pleinement. Editions du Sonneur
Les rêves qui nous restent. Boris Quercia. Traduction de l’espagnol (Chili) par Isable Soklodi et Gilles Marie. Il faut un talent certain, et un certain talent, pour s’aventurer sur les terres ultra codifiées de l’humanité des robots sans se prendre les pieds dans le tapis nommé « Asimov ». Avec ce nouveau roman, Quercia quitte les terres du polar (dans lesquelles il excelle) pour s’aventurer sur celles de la science-fiction. La brutalité sans fard, et l’humanité criante qui signaient son univers sont bien présentes dans ce court roman qui met en scène un flic de seconde zone, ravagé par un drame personnel. Chargé d’une enquête pour une firme qui vend des rêves pour fuir la réalité sordide et totalitaire dans laquelle le monde est plongé, il se dote d’un « électroquant », robot assistant à l’allure plus ou moins humaine selon son degré de finitions (donc son prix). Flic brisé intérieurement et au bout du boulot , monde totalitaire bien sale et violent, robot qui va s’avérer de plus en plus étrange car de plus en plus « humain » : Boris Quercia puise sans se cacher dans le chapeau magique des grandes lignes du polar et de la SF, qu’il mêle avec brio. En alternant les récits du flic et du robot, il dessine des personnalités sur le fil, prisonnières de leurs limites et de leurs souffrances, de leurs questionnements et de leurs peurs. Et c’est là que le talent énoncé au début de cette chronique prend tout son sens, car il peut s’avérer plus que périlleux de jouer avec des codes aussi connus. Or, Boris Quercia livre un roman tout en finesse sous la violence, un portrait en miroir de deux individus au bout de leur identité, qu’ils soient humain ou mécanique, une critique sans concession d’un monde dominé par le pouvoir et la technologie. Quand on sait ce qui nous attend en terme de « développements technologiques » (du genre le Metaverse), on se surprend à voir ces progrès d’un tout autre oeil. On ne pourra pas dire que la littérature ne nous aura pas alerté·e· Editions Asphalte