Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
"Drug City" est un roman court, incisif, brutal et effroyablement perspicace. Pourtant, des histoires de dealer en fuite avec une belle mallette dérobée à ses supérieurs, il y en a beaucoup. Des histoires de lieux schizophrènes où les riches oppressent les pauvres, il y en a également beaucoup. Avec un style nerveux et poétique à la fois, une pensée sur le fil et un sens poussé de l’observation, Thomté Ryam donne vie à un monde dystopique qui fait plus que rappeler le notre. Avec ce quatrième roman, l’auteur confirme sa place d’écrivain fort, pour qui l’esthétique de Saint Germain des Près a fait son temps.
Qu’est-ce qui vous inspire, d’une manière générale ? Qu’est-ce qui vous donne envie d’écrire ?
Tout m’inspire. J’ai une imagination débordante. Je suis intuitif. N’importe quelle situation peut me donne envie d’écrire. J’aime les gens et j’aime en parler. Et puis je le dis : il faut bien des personnes comme moi pour raconter l’existence de ces gens vivant dans ces milliers d’endroits dont on parle peu, qu’on caricature. On ne va pas toujours laisser ça aux autres, à tous ces fanfarons. Je suis légitime, je maîtrise mes sujets. J’ai du vécu et ça, on ne peut pas me l’enlever.
Comment êtes-vous venu à l’écriture ? Comment êtes-vous passé d’une carrière de footballer à celle d’écrivain ?
J’ai toujours aimé les belles phrases, les belles tournures, le rythme, la musique des mots, les histoires extraordinaires. Lire, écouter les gens. A l’école, je sentais bien que j’avais des facilités pour rédiger des textes. Mais, il y’avait le football à côté et c’était ma passion première, pendant longtemps. Ce qui ne m’empêchait pas de prendre des notes sur des bouts de papier. Très jeune, je notais différentes situations, les expressions que j’aimais bien, des amorces de dialogue. Je savais que j’allais écrire un livre un jour. Je le disais à mes amis au quartier, à ma famille. J’étais très doué pour le foot quand j’étais môme. Dans ma cité à Dreux, je passais mon temps à jouer. A 13 ans, j’étais en sélection régionale. Je suis ensuite allé en sport études au FC TOURS , puis au Paris saint germain et au stade Malherbe de Caen. J’étais assez instable et au fil des années, mon niveau a décliné. J’aimais m’amuser, sortir, délirer. J’avais une hygiène de vie assez douteuse. A 20 ans, à 21 ans, je me suis blessé pendant une longue période et j’en ai profité pour écrire mon premier roman Banlieue noire, qui a été édité quelques années plus tard. J’ai vraiment aimé ça, et je me suis dit que ça serait fantastique si je pouvais écrire toute ma vie. Vivre de ma plume.
Comment est né votre style, nerveux et efficace, sans fioritures et très imagé à la fois ? Comment travaillez-vous ?
J’écris les livres que j’aurais voulu lire étant enfant. On a tous une personnalité façonné par notre éducation, notre environnement. Mon style ressemble aux endroits où j’ai grandi, tout en couleur, direct. Et quand j’écris, j’essaye de me souvenir des mots, des formules, des expressions, qui ont eu le plus d’impact sur moi, sur ma manière d’évoluer. Mon écriture parait simple, mais elle est très travaillée. Cela la rend, je l’espère, agréable, belle, poétique C’est cette littérature que j’aime. Certains pensent sûrement que plus c’est long, pompeux, plus c’est efficace. Moi j’ai surtout le souvenir de livres qu’on m’a fait lire à l’école, tous ces soi disant classiques : déconnectés de ce que je vivais, avec des problématiques éloignées de mes préoccupations, des représentations datées, qui te donnent envie de te jeter par la fenêtre. Dès les premières pages tu te dis que tu vas t’emmerder. Après chacun son truc, il en faut pour tout le monde.
Je n’ai pas de méthode particulière pour écrire. J’essaye d’être en phase avec mon époque, capter l’air du temps. Et pour cela il faut « vivre », rencontrer des gens, être en mouvement, dans l’inconfort. Ça nourrit mon imagination. Quand tu « vis » trop bien, tes mots perdent en « puissance », profondeur, c’est mou, c’est fade, ça sonne faux …Tu te forces. C’est les idées qui viennent à moi et pas le contraire. Après, c’est sûrement que je leur ouvre la porte, Peut être l’inconscient, le subconscient…. Je ne suis pas un psychanalyste… Je trouve mon idée départ, le squelette, plus ou moins une fin et puis après je sors de chez moi : Toutes mes rencontres, mes discussions, les paysages vont converger vers cette histoire. Je prends un stylo et chaque mot en amène un autre. Et puis bien sûr il faut du talent, ce truc tombé du ciel, qu’on a du mal à définir. Une sensibilité particulière. Des personnages qui viennent de nulle part, des phrases qui viennent de nulle part. Des idées qui se complètent. Un épilogue qui sort du chapeau. Ce qui fait l’art.
Il y a plusieurs axes, plusieurs thématiques de lecture dans votre roman (colonisation, discrimination, inégalités, déterminisme social…), pourtant court. Comment avez-vous construit tout ce sens parallèle ?
J’essaie de parler du monde qui m’entoure, les situations qui me révoltent, la complexité du monde, en cherchant à être juste, mais en posant un regard faussement naïf, qui vise à comprendre et éclairer les mécanismes de domination. Je suis parti de mes propres interrogations : pourquoi ai- je grandi ici et pas là bas ? C’est dû à quoi ? Est-ce que ce mec aura les mêmes chances que moi ? Est-ce que j’aurais les mêmes chances que lui ? Pourquoi le simple fait d’être un homme noir peut faire de moi, dans certains contextes, un individu dangereux ? Une cible ? Quand on s’intéresse au monde et qu’on prétend être un écrivain, je pense que c’est la moindre des choses de se poser ce genre de questions, comprendre les mécanismes de notre société qui permettent la perpétuation des inégalités, qu’elles soient sociales, raciales, de genre, de classe. Et l’on se rend compte que ces schémas de domination reposent souvent sur les mêmes dynamiques, tellement intégrées par chacun qu’elles ne sont plus interrogées. C’est sans fin. La colonisation, l’esclavage, l’exploitation de l’homme par l’homme c’est ce qui a bâti les grandes richesses et rien d’autre. Ce n’est pas du génie d’un côté et de la fainéantise de l’autre. C’est du sang, des morts et des larmes. Comme l’être humain sait si bien le faire depuis que le monde est monde.
Ce lieu fictif où se déroule votre intrigue, entre roman social et roman noir, comment l’avez-vous construit ? Il rappelle, par sa configuration des lieux et des conflits existants…
Ce lieu fictif concentre d’un côté des populations extrêmement pauvres et de l’autre des populations extrêmement riches. Ce qui permet d’accentuer l’atmosphère tragique du roman. C’est à l’image du monde. L’argent, l’apparence y sont rois. Un mur appelé « mur de la paix » sépare ces deux populations et ironie de l’histoire on demande aux gens les plus vulnérables de payer une somme quasiment impossible pour eux afin de traverser ce mur et se situer ainsi du bon « côté » de l’île. La méritocratie n’y est qu’un mensonge, vu que la population riche domine seulement parce qu’elle a tué, affamé, exploité une partie de la population et imposé ses codes. Elle possède les meilleures écoles, le meilleur système de santé, en résumé le meilleur cadre de vie pour s’épanouir . Les pauvres sur cette l’île sont stigmatisés, rabaissés, ne possèdent aucun média pour les défendre, doivent en faire dix fois plus pour s’en sortir et quand l’un de ses membres réussit à passer le mur, c’est un exploit. Bien sûr, les riches habitants de l’île font de ces exploits des exemples de réussite et ainsi montrer « qu’il est tout à fait possible de traverser le mur », que tous les gens pourraient le faire, s’ ils s’en donnaient les moyens.…plutôt que de remettre en cause, un système inégalitaire, mortifère qui leur est très largement favorable. Au fond, les « sauvages » c’est eux.
Évidemment, c’est une dystopie, mais l’actualité la plus récente, le tournant ultra-libéral de certaines économies, les répressions de plus en plus fortes de toutes les contestations populaires, me donnent malheureusement raison… chacun pourra aisément reconstruire le fil de mes différents emprunts.
Quels sont les retours que vous font vos lecteur·rice·s ? Qui sont-ils et elles, par ailleurs ?
Sur ce roman, j’ai des retours incroyables. C’est enthousiasmant ! Je suis vraiment fier de ce livre. C’est une invitation à la rêverie, à l’imagination. Un livre court et intense. Mon plus grand souhait serait qu’il traverse le temps. Et j’espère qu’il donnera envie de lire à un tas de gens qui ne lisent plus.
Vous n’êtes pas tendre avec St Germain-des-Près. Qu’est-ce qui vous déplaît dans cette imagerie ?
Saint-Germain-des-Prés , c’est plus un symbole. La bourgeoisie parisienne. (Et quand je parle de bourgeoisie, je ne parle de la famille qui possède un pavillon, une belle voiture et porte des mocassins et une écharpe dans une ville moyenne de province) qui impose, dans la littérature et le cinéma, ses idées, ses codes, sa vision du monde, ses sujets « pourris », ses descriptions trop longues qui font dormir, qui s’autocongratule sur les plateaux télé remplis de journalistes bourgeois qui n’ont d’ailleurs pas la lumière à tous les étages. Qui possède la plupart des « grandes » maisons d’édition et qui de temps en temps laisse la place à un livre « exotique » (à cinq kilomètres de Saint-Germain c’est exotique, la banlieue : c’est la francophonie) pour dire « Nous, on est sympas !» Et qui réussit à te faire croire qu’elle est là parce qu’elle est plus« méritante». Je n’ai rien contre les bourgeois, j’aurais pu en être un, mais qu’ils laissent un peu d’espace aux autres… Parce qu’avec tout le respect que j’ai pour ces gens là, franchement, j’écris mieux que la grande majorité d’entre eux.