Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
« Brûler, la nuit ». Un beau programme, qu’il soit poétique, militant, amoureux, ou un peu tout ça à la fois. Dans ce premier recueil de la poétesse Louise Giovannangeli, publié aux éditions L’Or des lignes, il est question d’amour, d’enfance, de rébellion, de féminisme, de construction, d’idéal. De beaucoup de choses essentielles que porte à merveilles la poésie, cette poésie contemporaine particulièrement en prise avec son temps. À la fois sensible et déterminés, rêveurs et ancrés, les mots de Louise Giovannangeli dessinent de belles parenthèses et invitent à voir le monde avec incandescence.
Votre recueil porte une véritable incandescence, une colère puissante et constructive, qu’est-ce qui vous inspire ?
Ce qui nourrit mes textes, c’est à la fois le contraste entre l’enfance que j’ai vécue, en Corse, douce et presque enchantée, et la violence du monde dans lequel j’ai grandi, à Paris, où j’ai pu constater l’injustice sociale, la violence de classe et contre les minorités de genre, encore plus depuis que je suis devenue militante politique et militante féministe.
Qu’est-ce qui vous a menée vers la poésie plutôt que vers un autre genre littéraire ?
J’écris depuis que je suis toute petite ; j’ai commencé par écrire des textes de chansons, puis je me suis très modestement tournée vers la poésie. Mon papi, dont je suis très proche, m’avait biberonnée aux grands textes poétiques de notre panthéon littéraire. Par la suite, mon père m’a fait découvrir la plume d’Eluard et de René Char : ce jour-là, j’ai senti comme un bouleversement : la poésie pouvait être politique, tout en restant éminemment sensible et belle. Un peu écrasée par ces grands noms, et surtout n’ayant lu que très peu de poétesses, je n’ai pas tout de suite osé me remettre à écrire de la poésie. J’ai d’abord écrit des nouvelles, puis tenté d’écrire quelques romans – que j’abandonnais plus ou moins vite. Et puis j’ai découvert Alejandra Pizarnik, Alfonsina Storni, ou encore Ana Akhmatova. Alors j’ai pensé : moi aussi, je peux le faire. J’avais compris que la forme courte me correspondait le mieux, elle me permettait d’exprimer ma sensibilité de façon brute et immédiate. Insomniaque, j’ai commencé à écrire la nuit, des textes courts qui me traversaient. Mais je n’osais les faire lire à personne ! Et puis un soir, Katia, amie et éditrice de poésie, a découvert l’un de mes carnets. Et elle m’a dit « Louise, l’an prochain, je publie ton premier recueil ». Je n’avais plus le choix ! Alors j’ai commencé à écrire, plus régulièrement, et j’ai compris que j’avais trouvé ma voix.
Vous parlez autant de l’amour que vous portez à votre terre natale et aux figures féminines de votre famille, que de vos combats féministes. Ces deux pôles sont-ils interdépendants pour vous ?
C’est une question difficile ! J’aurais envie de répondre oui, et non. La Corse est une société à la fois matriarcale et machiste, comme beaucoup de sociétés méditerranéennes – même si les choses tendent à évoluer, notamment ces dernières décennies. Du coup, j’ai été élevée par des femmes d’une force sans nom – mon arrière-grand-mère Baptistine, une vraie force de la nature, qui courait encore avec moi sur les chemins escarpés de l’île alors qu’elle avait plus de 90 ans, qui se levait à 6h du matin, nettoyait la maison de fond en comble, et préparait les meilleurs repas du monde ; ma grand-mère, Lucette, qui marche dans les pas de sa mère et ne cesse de m’impressionner par sa modernité et son ouverture d’esprit ; Carine, ma tante, sœur cadette de mon père, qui a toujours suppléé à la figure maternelle dont j’avais été privée très jeune, bio-physicienne passionnée, cuisinière hors-pair et mère de famille résiliente. Si chacune d’entre elles ont été et sont encore des modèles, aucune pourtant n’était ouvertement féministe. Celui qui m’a éduquée au féminisme, étonnamment, c’est mon père, véritable pilier de ma vie et garant de mon éducation. C’est lui qui m’a donné envie de militer, et de me battre pour une société plus juste, à tous les plans.
Certains passages, certains textes rappellent la fougue de Monique Wittig et ses "Guérillères", est-ce une inspiration pour vous ? D’ailleurs, quelles sont vos figures d’inspiration ?
En effet, j’ai lu Wittig au lycée, et j’ai été transformée par sa plume et ses textes. Comme je le disais plus haut, je pense que mon inspiration vient initialement de René Char, particulièrement de ses Feuillets d’Hypnos, d’Eluard aussi, l’un des premiers poètes que j’ai lus et qui m’a donné envie d’écrire ; et bien sûr, des poétesses Sud-Américaines du XXe siècle, particulièrement Alejandra Pizarnik, que j’ai découverte plus tard mais dont la plume parle directement à mon cœur. Enfin, j’ai appris ces dernières années à aimer Marguerite Duras (oui, je sais, je fais partie de ces gens qui l’ont lue et étudiée trop tôt, mais finalement je suis heureuse de la redécouvrir à l’âge adulte !). Détruire dit-elle est l’un des livres qui m’a le plus bouleversée, sur le plan stylistique notamment, ces dernières années, et qui m’a permis d’évoluer dans ma propre écriture.
Vous êtes par ailleurs agente littéraire, qu’est-ce qui vous a motivée à vous diriger dans cette voie ?
Depuis toute petite, j’ai toujours su que je voudrais travailler dans un domaine en lien avec les mots. Après des études de lettres, je me suis tournée vers l’édition. J’ai d’abord été attachée de presse, chargée des relations libraires dans une jeune maison à taille humaine : j’y ai découvert la réalité du marché du livre, c’était passionnant. Mais le rapport à la matière textuelle me manquait, alors je suis devenue éditrice. J’ai travaillé pour plusieurs maisons d’édition, j’ai appris le métier sur le tas. Mais j’étais toujours un peu frustrée de ne pouvoir être maîtresse de ma propre ligne éditoriale. Par ailleurs, la conjoncture économique étant ce qu’elle est, les postes dans l’édition sont rares – et précaires – alors, quand la première vague du Covid nous est tombée dessus, étant à ce moment-là au chômage depuis peu, je me suis dit : « pourquoi ne pas voler de mes propres ailes, et créer mon agence, pour donner la parole aux jeunes auteurices qui ont des choses intéressantes à dire sur le monde d’aujourd’hui, et qui n’oseraient peut-être pas d’elleux-même prendre la plume ? » C’est ainsi qu’est née mon agence, Cardellina, nom corse du chardonneret, qui comme moi va chercher les pépites au sein des fleurs de chardons.
Ce métier reste assez obscur en France, pouvez-vous le décrire dans ses grandes lignes ?
Le métier d’agent est assez protéiforme, et je pense que chacun.e d’entre nous le définira d’une manière différente. Pour ma part, j’ai fait le choix de ne pas me limiter à un genre littéraire : je m’occupe d’ouvrages de fiction, de non-fiction, mais également de BD et de recueils de poésie. En revanche, ma ligne est claire : ces ouvrages doivent s’inscrire dans des luttes, de près ou de loin. Des luttes sociales, féministes, écologistes, antiracistes, pour les droits LGBTI… cela ne veut pas dire que je ne publie que des ouvrages politiques au sens strict ; mais il faut qu’un certain engagement se ressente à la lecture. Exception faite de la fiction, où je fonctionne aussi au coup de cœur pour une plume, un univers.
Au départ, j’allais démarcher moi-même des auteurices, notamment sur les réseaux sociaux, ou via mon réseau personnel. Maintenant, après quelques années, je reçois beaucoup de propositions spontanées ; j’oscille donc entre étude des projets reçus et prospection. Ensuite, ma mission quand je retiens un projet est d’aider l’auteurice à élaborer un synopsis solide, qui convaincra les maisons d’édition. Et ensuite de réfléchir aux maisons les plus à même de porter le projet en question, et de les solliciter. Cela demande beaucoup de temps et d’énergie, sans garantie de succès. D’où le fait que je ne m’engage que dans le cas où un projet me convainc, moi-même, à 200%. Enfin, je suis également certains projets en tant qu’éditrice free-lance : j’adore pouvoir suivre mes auteurices du début à la fin, quand cela est possible.
Comment sélectionnez-vous les manuscrits que vous allez porter ? Qu’est-ce qui vous pousse à en défendre un en particulier ?
Plusieurs critères entrent en compte dans ma sélection des projets : le facteur coup de cœur, bien sûr (pour une plume, pour un trait quand il s’agit de BD, pour une thématique). Mais également un principe de réalité : certains projets, par exemple, m’intéressent, mais quand ils sont trop « de niche », je sais d’avance que j’aurai du mal à les vendre à une maison, et quand bien même cela serait le cas, que les ventes seraient décevantes. Alors je préfère décliner. Je me pose toujours cette question : ai-je, dans mon réseau d’éditeurices, plusieurs personnes qui pourraient être intéressées et sauraient porter ce livre jusqu’à son public ? Si la réponse est non, je ne me positionne pas. Par exemple, je ne connais que peu d’éditeurices de jeunesse, de SF, ou de polars : alors je n’en fais pas – ou très sporadiquement. Mais j’essaye toujours au maximum de réorienter les auteurices vers des consoeurs et confrères.