Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
C'est l'une des découvertes dont la collection "Terres d'Amérique" (Albin Michel) a le secret. Un jeune nouvelliste Canadien, auteur d'un premier roman nerveux et intense, qui parle de Canada sous l'angle de la ruralité. À l'instar des nouvellistes états-uniens du Sud ou du Midwest, Kevin Hardcastle met en scène des laissés pour compte, des gens à qui la vie ne fait pas de cadeaux, en prise avec l'alcool, parfois, la maladie mentale ou une solitude sociale sans fin. Tendre dans son regard, rigoureux dans son écriture, il livre un recueil à la fois dur et tendre, au plus près de ces personnages que l'on imagine réels, dans un Canada que l'on ne connaît pas. Auteur d'un roman, Kevin Hardcastle entretient un rapport particulier à la nouvelle, qu'il dévoile dans ce bel entretien.
Pourquoi écrivez-vous des nouvelles, en parallèle à vos romans ?
J’écris de la fiction courte depuis que je suis enfant, mais je n’avais pas accès à l’éducation, là où j’ai grandi, dans le Canada rural, ou à une exposition à la fiction qui aurait fait de moi un écrivain jusqu’à ce que j’aille à l’université. Quand j’étais ce jeune homme qui avait fui son patelin natal pour l’Université de Toronto, un professeur, A.F Moritz, m’a montré comment réellement travailler une histoire vraie lors des cours d’écriture. Je n’ai plus cessé d’écrire de la fiction courte depuis et ai bien l’intention de continuer tout au long de ma carrière, en plus des romans.
La vérité au sujet de mon premier roman, « Dans la cage » est que je l’ai écrit il y a des années, sous une forme bien plus brute et l’agent que j’avais à cette époque ne parvenait pas à le vendre, et a quitté le métier. J’ai continué à écrire des nouvelles pendant tout ce temps et ai commencé à être publié dans des revues Canadiennes et américaines. Ça a fini par constituer mon premier recueil, « DEBRIS » (« Toutes les chances qu’on se donne » chez Albin Michel). Quand mon éditeur Canadien, John Metcalf, a compris que j’avais un roman qui avait besoin de travail, il me l’a demandé. Cela nous a amenés à remettre en forme et réviser mon premier roman. Mais les nouvelles étaient toujours la voie principale pour moi, et aucun de mes travaux d’écriture n’aurait le niveau qu’il a aujourd’hui si je n’avais pas affuté mes outils en écrivant de la fiction courte d’abord.
Comme l’a dit Kris Bertin, l’un de mes bons amis et nouvelliste exceptionnel « Je n’ai jamais lu un roman parfait, mais j’ai déjà lu des nouvelles qui s’approchent autant de la perfection que possible. ». Il y a quelque chose de tellement profond et ravageur dans ces nouvelles presque parfaites, quelque chose qui ne se trouve que dans des textes de cette forme. Il n’y a aucune marge d’erreur, aucune place pour la paresse ou l’approximation, il faut construire un monde entier autour de cette histoire, juste pour y entrer et en sortir à ce moment parfait. Il y a une précision et une profondeur dans l’écriture d’une nouvelle qui portent celle d’un roman ou autres formes narratives longues. Au Canada, on peut être édité en écrivant des nouvelles, même si les romans se vendent mieux. Si l’on ne vend pas forcément beaucoup, il est par contre possible de s’imposer comme un·e écrivain·e sérieux·se et respecté·e en écrivant des nouvelles.
Comment travaillez-vous vos nouvelles ? Est-ce une démarche différente de l’écriture d’un roman ?
C’est différent par certains aspects, le temps que l’élaboration de l’énigme et l’écriture prennent, par exemple. Mais je trouve également qu’écrire des nouvelles a un rythme que j’aime. C’est un sentiment particulier d’être concentré si intimement sur cette distance, et ensuite de finir l’histoire et de passer à une autre. Et si tu te débrouilles bien, tu vois tes histoires publiées alors que tu es en train d’en écrire d’autres, c’est un rythme particulier. Les romans prennent plus de temps à écrire, demandent plus de plannings, prennent plus de temps à être édités, et sont souvent soumis à une certaine pression, notamment au niveau de la conformité à un secteur. C’est sans doute lié à des impératifs financiers, mais ça ne devrait pas rentrer en ligne de compte dans la construction d’une histoire. Sur ma manière d’écrire à proprement parler, j’essaye d’amener la précision et l’intensité que j’ai dans l’écriture de nouvelles dans celle d’un roman. J’essaye d’écrire chaque mot, chaque phrase, chaque chapitre avec la même précision que si j’étais en train d’écrire une nouvelle, et si je remarque que je ne suis pas dans cet état d’esprit, je sais que j’écris pas au niveau qui serait le mien en fiction courte.
Quels sont les gens dont vous parlez ? Pourquoi avez-vous choisi d’écrire à leur sujet ?
Les gens sur lesquels j’écris sont des gens que je connais, des personnalités que j’ai côtoyées enfant et qui ont fini par faire corps avec le folklore local de la ville où j’ai grandi. Les hommes qui ont braqué des magasins d’alcool dans l’histoire « Bandits » étaient de vrais criminels dans ma ville. Ils ont du finir par être arrêtés mais ils ont commis leurs larcins pendant des années en se servant des conditions climatiques hivernales très dures propres à cette région. Une histoire vient de mes expériences personnelles, quand j’ai vécu et travaillé en Alberta. Je fais le même job pourri que le protagoniste de l’histoire (frapper aux portes des gens pour leur faire contracter des contrats d’électricité ou de gaz longue durée), et c’est comme ça que j’en suis venu à parler à beaucoup de gens différents qui étaient là-bas à l’époque de l’essor de l’industrie pétrolière et gazière. Ça faisait très « conquête de l’Ouest », et alors que je n’aimais pas être là-bas, j’ai trouvé des sujets d’histoires et des gens sur lesquels écrire. Tellement d’autres personnages proviennent de mes expériences avec une famille qui souffre de problèmes mentaux et des failles des services sociaux supposés les aider mais qui sont inadéquats, ce qui génère des situations déchirantes. Je connais ces gens et beaucoup sont des proches. Malgré beaucoup d’autres obstacles, les gens que j’aime qui apparaissent dans mes histoires ont été très soutenants envers mon utilisation créative de leurs peines et souffrances.
Bien sûr je n’ai pas souffert plus que quelqu’un d’autre. Mais j’aime dire que, que ce soit au sujet de la criminalité, de la violence, des bagarres, de la maladie mentale ou de la pauvreté, j’ai un aperçu suffisant pour savoir tout ce que cela peut générer. J’ai choisi d’écrire sur ces gens parce que j’en aime beaucoup d’entre eux, je comprends combien leur vie échappe à leur contrôle aux yeux des autres, et même ceux qui sont hors la loi, je les respecte pour leur force. J’ai également choisi d’écrire au sujet de ces gens parce qu’il y a une discordance entre la perception du Canada et ce qu’il est en réalité.
Certains écrivains américains que je connais et respecte sont mieux acceptés, d’une certaine manière, car il y a une perception de l’Amérique de la part de lecteur·ice·s du monde entier qui s’émerveillent du chaos de ces histoires sans doute sur le fait qu’elles sont plausibles aux USA. Quand tu racontes des histoires rurales canadiennes, comme moi, ils n’y croient pas. C’est un véritable danger pour le Canada, et pour tous ces gens qui ne sont pas représentés dans notre littérature, cet export d’un mythe, d’une vision « polie » et « gentille » du pays. Ce n’est pas un pays poli et gentil. Il y a des gens pauvres, oubliés, marginalisés, victimes de racisme. Mes histoires sont mieux reçues en Europe qu’ici, par exemple, parce que vous surfez sur la vague des auteurs américains de ce type. Mais les choses ont l’air de changer, cependant, et les voix qui mettent en faux ce mythe Canadien sont plus largement publiées et lues ici. J’espère trouver ma place parmi mes brillants pairs pour continuer à changer la perception de ce pays, pour montrer la réalité du Canada à laquelle ils n’ont jamais eu accès.
Quels sont les auteurs qui vous inspirent ? Particulièrement en matière de nouvelles ?
Quand j’étais enfant et voulais être un écrivain d’horreur, Stephen King était ma principale influence. En vieillissant, je me rends compte que King est largement sous-estimé pour sa capacité à saisir les enjeux des classes ouvrières et ce qui se passe dans les petites villes. J’adorais les frayeurs et sujets plus difficiles que je ne comprenais sans doute pas à cet âge, mais c’est la manière dont il parle de la classe ouvrière dans les petites villes qui m’a fait relire et relire ces histoires.
Hemingway a toujours été ma base pour la manière d’écrire et d’approcher la nouvelle, et je pense toujours que je n’aurais pas compris grand chose sans ses histoires. Mais au lieu d’essayer de copier Hemingway pour le restant de ma vie littéraire, j’ai découvert Cormac McCarthy sur les conseils d’un de mes professeurs à la face, et tenté de faire fusionner cette prose musclée et dépouillée avec des méthodes d’écritures plus expérimentales et sauvages, tout en r cherchant à écrire une fiction tout aussi terrifiante et horrifique que ce qui se faisait dans le genre. C’est principalement la manière dont j’ai construit mon style.
En ce qui concerne les écrivains canadiens, Alistair MacLeod sera toujours celui dont les écrits brulent en moi. Il était l’un des meilleurs écrivains au monde, et je pense que ceux qui ont lu ses histoires le savent bien. C’est également l’un des seuls écrivains qui ait écrit sur la classe ouvrière pauvre du Canada et les zones rurales et réussi à rencontrer un public.
En vérité, j’ai été principalement attiré pat les écrivains américains pour les raisons que j’ai énoncées plus haut, et par le fait que très peu de sujets que j’aurais aimé voir traités étaient publiés. Alors j’ai trouvé Hemingway, McCarthy, mais j’ai également beaucoup aimé été inspiré par « Jesus’ Son » de Denis Johnson, et plus tard par « Knockemstiff » de Donald Ray Pollock. J’ai beaucoup appris sur la subtilité et le poids des choses apparemment banales qui affectent profondément les gens en lisant Raymond Carver. J’aime tout le travail de Daniel Woodrell et admire tout ce qu’il a écrit. Je ne parviens pas à croire que je ne connaissais rien à Michael Farris Smith jusqu’à ce que je le rencontre en France, au Festival America. Depuis, j’ai lu tous ses livres et courage tout le monde à faire de même.
Il y a des écrivains canadiens que je suis très heureux de voir briller pour leur honnêteté et travail de pionniers en matière de storytelling : David Chariandy, Eden Robinson, Souvankham Thammavongsa, Casey Plett, Cherie Dimaline, Kris Bertin et Waubgeshig Rice. La plupart de ces auteurs ont écrit ou écrivent toujours des nouvelles et font partie d’une littérature qui a besoin d’être lue en dehors de notre pays, ce qui arrivera, j’en suis certain.
Chronique de "Toutes les chances qu'on se donne" à retrouver sur l'Instagram de Booka !
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ENGLISH VERSION
Why did you chose to write short stories, aside novels?
I’ve written short fiction since I was a boy, but I didn’t have an education where I grew up in rural Canada or as much exposure to fiction that would mould me as a writer until I somehow got to university. When I was a young man who’d fled my hometown for the University of Toronto, a professor there, A.F Moritz, really showed me how to craft a true story in one of the few writing courses that were available at the time. I’ve written short fiction ever since and plan to do so throughout my entire career, along with novels.
The truth about my first novel, IN THE CAGE, is that I had written it years and years ago in a much rougher form and an agent I had at the time could not sell it, and then quit the business entirely. I kept writing short fiction all the while, and started to get published in a number of Canadian and American journals, and this led to my short fiction collection. DEBRIS (now translated by Albin Michel). When the editor at my Canadian publisher, John Metcalf, realized I had a completed novel in need of work, he asked for that as well. That led to our reshaping and revising of my first novel. But the stories were always the way through for me, and none of my writing would be anywhere near the level that it is if I hadn’t sharpened all of my tools writing short fiction first.
As a good friend of mine, Kris Bertin (an exceptional short story writer) once said, “I’ve never read a perfect novel, but I have read short stories that are about as perfect as a piece of writing could be.” There’s something so profound and devastating about near-perfect short stories that can only be found in that form. There is no margin for error, no room for loose writing or laziness, and you have to build an entire world around that story just to step in and out of it for that perfect moment in time. There’s a precision and depth of skill that comes from writing short fiction that carries over to novel writing and other longer forms of narrative. Also, in Canada, there is a real path to publishing through short fiction, even if novels are also more saleable and desirable for publishers. While you may not sell many copies of your collection, you can establish yourself as a serious and respected writer while working in that medium.
How do you work when you write short stories? Is it different than your work on a novel?
It is different in some ways, in just the length of time it takes to prepare and plot and actually write. But I also find that writing stories has a cadence that I love. It’s a special feeling to be focused so intimately on that amount of words for a time, and then to close up a story and move on to another. And, if you hit in the right spots, you see stories published as you are writing new ones, and that’s a nice rhythm to be in. Novels take more time to write, more planning, more time to publish, and are often under the pressure of the industry to conform in some way or another. I mean, I guess that’s because some of them can make actual money, but it’s still a concern that shouldn’t be part of shaping a story. As far as how I work in both forms though, I actually try to bring the focus and intensity I have in writing short fiction over to my novel writing. I try to write each word and sentence and chapter with the same focus as I would if I were writing a story, and if I notice that I’m not in that mindset, I know that I’m not writing up to the level that I would in short fiction.
Who are these people you talk about? Do you know them? Why did you choose to write about these kinds of people?
The people I write about are actually people that I know, and characters that I knew growing up and who became part of local folklore in the town that I grew up in. The men who robbed remote liquor store trailers in the story BANDITS were real criminals in my hometown, who might’ve been looked down on but succeeded for years using the terrain and the harsh winter weather that is particular to that part of the country. The prairie stories, OLD MAN MARCHUK and HUNTED BY COYOTES, come from my experiences living out in Alberta and working that godawful job that the protagonist in the latter story does (knocking doors to lock people into long-term gas and power contracts), and that’s how I spoke to some many different people who were out there in those boom times for the oil and gas industry. It had a real wild-west feel, and while I didn’t like it there, I took in stories I heard and found characters to write about. So many other characters were drawn from my experiences with family who suffered from mental illness and the failings of the social systems that are supposed to aid them but are truly inadequate and heartbreaking to try and navigate. I do know these people, and many of them are very close to me. Despite many of the other obstacles, those who I love who have appeared in my stories have been very supportive of my using these hard, painful stories to create something out of that hardship.
Of course, I haven’t suffered as badly as you could. But I like to say that, whether it is the criminality I’ve seen, or the violence, or the fight training, or the experiences with mental illness, or poverty, I’ve had enough of a toe or foot in that water to know how much deeper than water can get. I choose to write about these people because I love many of them, or I understand why life has spun out of control for others, and even those who villainize I want to respect for their potency. I especially choose to write about these stories and characters because there is a stark disconnect between what the perception is of Canada and the actual reality.
American writers I know and respect are accepted in certain ways because there is a perception of America that allows readers from around the world to marvel at the mayhem in their stories without any doubt that they’re plausible stories in America. When you tell them rural Canadian stories like mine, they can’t believe it. It’s a real danger to Canada, and the many people there that are rarely represented in our literature, that much of what is exported and accepted is this myth of a “nice” and “polite” Canada. This is not a nice and polite country. That’s plain to anyone who is poor, or forgotten, or part of a marginalized or racialized community. The facade of nicety just makes it harder to accept for Canadians who are only now waking up to this. My stories are already more accepted in Europe than they are here, for example, because you kind of get to ride that wave of American writers who’ve already broke that wall down. But things seem to be changing somewhat, and voices that challenge this false myth of Canada are being widely published and read around this country. Hopefully I can find a place in there with many of my brilliant peers to keep changing perceptions of this place so that readers near and far understand that this is part of the real Canada that they’ve never had access to.
Which writers inspire you, especially in short stories ?
When I was a boy and wanted to be a horror writer, Stephen King was the main influence for me. As I get older now, and think back, I realize that King is so very underrated for his ability to capture the working class and that underbelly of a small town. I loved the scares and the heavy things I perhaps didn’t fully comprehend yet at that age, but it was the way he wrote working class people in small towns that made me read those stories over and again.
Hemingway was always my baseline for writing lines and for how to approach short fiction, and I still think I’d maybe not have figured that out without his stories. But, instead of trying to copy Hemingway for the rest of my writing life, I found Cormac McCarthy at the suggestion of another fine university professor, and managed to meld together that kind of spare, muscular prose with other wilder experimental ways of writing lines, along with finding a way to write literary fiction that is just as horrific and terrifying as anything in the actual horror genre. That was essentially how I came to my style of writing.
For Canadian writers, Alistair MacLeod is always going to be the writer that has his stories burned into my heart. He was one of the best writers the world has had, and I think those who have read his stories know that. He’s also one of the only writers you can find that wrote about the working poor in Canada, and in rural areas, and had any audience at all.
Truly, I was mostly drawn to American writers for the reasons I just laid out in the previous question, in that so little of what I wanted to see in stories was published in Canada. So I found Hemingway and McCarthy, but I also deeply loved and was inspired by Denis Johnson’s JESUS’ SON, and later on by KNOCKEMSTIFF by Donald Ray Pollock. I learned much about subtlety and the weight of seemingly mundane things that affect people profoundly by reading Raymond Carver. I love all of the work of Daniel Woodrell and admire all that he’s accomplished in hist writing. I cannot believe I didn’t know about Michael Farris Smith until I met him in France at Festival America, and now I’ve read all his work and encourage everyone else to.
There are writers coming out of Canada (for those that identify it as such) that I am very excited to see shine for their honesty and trailblazing storytelling, like David Chariandy, Eden Robinson, Souvankham Thammavongsa, Casey Plett, Cherie Dimaline, Kris Bertin, and Waubgeshig Rice. Most of those authors wrote or still write short fiction, and are part of the literature that needs to be read out of this country, and that I believe will be read in years to come.