[INTERVIEW] Isabelle Wéry : "J'ai tenté de cartographier notre époque"

Vous êtes-vous déjà demandé si les personnes âgées pouvaient, elles aussi, être déjantées ? Dans son nouveau roman, Isabelle Wéry met en scène une vieille dame, fait suffisamment rare dans la littérature pour être souligné,

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[INTERVIEW] Isabelle Wéry : "J'ai tenté de cartographier notre époque"

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24/11/2023
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Vous êtes-vous déjà demandé si les personnes âgées pouvaient, aussi, être déjantées ? Si elles pouvaient s’embarquer dans des plans étranges qui n’ont rien à envier à ceux des jeunes qui se veulent rocknroll ? Dans son nouveau roman, Isabelle Wéry met en scène une vieille dame, fait suffisamment rare dans la littérature pour être souligné, qui se retrouve mêlée à une vendetta pendant ses vacances en Andalousie. Avec une grande subtilité et beaucoup de tendresse, Isabelle Wéry fait cheminer son héroïne sur les sentiers de la reconquête de soi et de la mémoire traumatique. Subtile, drôle, humaine, cette vieille dame parle à plus d’une d’entre nous grâce à l’univers unique d’une écrivaine pas comme les autres. 

Qu’est-ce qui vous a inspiré ce roman ? Pourquoi ce sujet ? 

Il y a toujours une multitude de micro éléments qui m'inspirent mes romans. Mais dans le cas de Rouge western, je pourrais les résumer comme ceci: D'une part, il y a eu mon désir d'embarquer les lecteurices dans cette région impressionnante d'Espagne, Almeria, à la fois paysage naturel époustouflant et aussi terre de cinéma puisque de nombreux tournages de films y ont lieu depuis les années 60. Donner aux lecteurices le goût de cette terre-là, dans toute sa complexité et sa richesse. C'est une terre où la fiction hante la réalité. Chaque paysage comporte ses fantômes des tournages passés. Dans telle vallée, vous traverserez un épisode de Game of thrones, un peu plus loin, vous serez dans les champs d'orangers où a déambulé Jack Nickolson dans Profession reporter... C'est une région troublante, à la réalité "flottante". Et j'y vois une métaphore de l'existence: cet incroyable phénomène qu'est le fait d'être en vie. Parfois, je dois me pincer pour bien réaliser que tout ce que je vis est bien réel et non un mirage (LOL).

Ensuite, je voulais aborder des strates de sujets qui nous animent aujourd'hui: le devenir de la terre, l'eau, le voyage et la fuite, l'impact de l'art sur nos vies, l'amitié (aussi forte que les liens du sang), la recherche du bien-être dans un monde dont on prédit la fin, le féminisme, les personnes toxiques, le corps des femmes et aussi, les abus sexuels... Aborder tout ceci me semble essentiel. J'ai tenté de cartographier notre époque, de livrer une forme d'état des lieux mais dans un cadre onirique. Tout ce qui s'y trouve est basé sur mon observation, mon expérience ou celles de proches.


Pourquoi voit-on aussi peu de héros, et encore moins d’héroïnes, d’un certain âge ? 

Ahahahahah. Voilà la question. Plus assez sexy? Jeunisme? Désintérêt pour les personnes en dernière partie de vie (qui n'ont pas "droit au chapitre", que l'on jette, que l'on abandonne)?... Un peu de tout cela.J'ai côtoyé des personnes âgées si inspirantes. Elles sont toutes dans Vanina, l'héroïne de Rouge western, à la fois avide de rencontres, de découvertes et désireuse de poigner dans la vie avec tous ses sens. Il y a tant à déconstruire dans le fait de devenir vieille ou vieux. Je le prends comme une exploration captivante ;-)  


Comment avez-vous créé ces personnages atypiques et sensibles à la fois ? 

Mes personnages sont le fruit d'observations, d'expériences et de connaissances que j'accumule et qui finissent par créer "des contours". Je choisis d'en faire des figures atypiques qui ont un rapport singulier à l'existence et au fait d'être en vie dans notre société contemporaine. C'est un des rôles de la littérature pour moi: porter un regard singulier sur le monde qui nous entoure. Je conçois des personnages "ni bons, ni mauvais" mais comme des explorateurices curieuxses de l'existence. Je crois que tous mes romans sont des expériences initiatiques au cours desquelles mes personnages se forgent un chemin, un rapport à la vie. Ce sont des figures hors normes, queer, et libres, d'une certaine manière. 


Comment construisez-vous un roman, d’ailleurs ? Quelle est votre méthode de travail ? 

D'abord, je choisis le cadre du roman: un lieu, une région, un pays. Je suis amenée à voyager beaucoup et je m'inspire de ces expériences pour définir ce cadre. Et puis, j'ai des bribes de personnages, de sujets qui m'apparaissent peu à peu au gré de longs moments de rêveries "actives". Je laisse mon imaginaire divaguer et les images arrivent en masse. C'est un long processus de préparation mentale agrémenté de recherches d'informations et de documentations. Et à un moment, j'ai "assez rêvé" le livre, je suis prête: je commence à l'écrire. Je suis assez fan des processus de création de David Lynch qu'il décrit dans son livre Mon histoire vraie. La part belle qu'il fait au rôle de l'inconscient dans l'élaboration d'une oeuvre; la capacité de l'artiste à saisir les images uniques qu'il envoie. Mon but est toujours de créer des univers particuliers qui flirtent avec le fantastique, le surréel. Je cherche à peaufiner des images qui vont surprendre et activer l'imaginaire des lecteurices. Mon idée est de les emmener dans un lieu qui leur est neuf. Ensuite, il y a le travail du style, de la langue, des métaphores, des images. Fignoler tout cela pffffff. Relire cent, mille fois, flipper, relire mille fois. Dans toute cette construction, "laisser passer du temps" est ami: il m'aide à développer un regard critique sur ce que j'écris.


Vous êtes une artiste plurielle, polyvalente, entre scène, arts plastiques et écriture. Ces territoires créatifs se nourrissent-ils les uns les autres ? Comment les voyez-vous ? 

Je les vois comme de grands terrains de jeux où je m'éclate en passant de l'un à l'autre, en alternant les activités, parfois en en abandonnant certaines pour y revenir des années plus tard. Tout cela est assez fluide et m'apporte une grande sensation de liberté qui ne cesse de m'inspirer. Et tout cela se nourrit, bien sûr, et est sculpté par le passage du temps et des transformations du monde. Une grande partie de ma culture littéraire vient du fait que je fais du théâtre depuis mon enfance. C'est en côtoyant les univers de grand.e.s auteurices de théâtre, en les incarnant que j'ai appris à écrire. 


Vous utilisez beaucoup l’humour, en général et dans ce titre en particulier. Pensez-vous que l’on puisse faire plus facilement passer certains messages par l’humour ?

Oui, j'en suis convaincue... Faire rire, sourire, c'est ouvrir une brèche dans la sensibilité des lecteurices. C'est ouvrir leur imaginaire. C'est pincer leur curiosité. C'est s'assurer que leurs réactions seront nuancées. J'ai appris cela en étudiant et en jouant Shakespeare qui manie si bien le mélange du drame et de l'humour. Cette distorsion des registres est super riche à mes yeux. Et m'amuse beaucoup. Je ris beaucoup quand j'écris des choses dures, et je pleure parfois quand j'écris des choses drôles. Par exemple, la "scène du cheval" dans Rouge western, je me suis marrée à l'écrire bien qu'elle soit d'une extrême violence.Et puis, on a besoin de rire pour survivre dans notre monde si complexe et cynique, non? 

Isabelle Wéry. Rouge Western. Au Diable Vauvert.

 

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