Rencontre avec Indigo, gérante de la librairie anglophone "Prismatic Pages" à Oslo
Laura Lutard, Maram al-Masri, Milène Tournier, Coline Pierré, mais aussi Moon Chung-hee ou encore Douce Dibondo. Quelques noms parmi les 69 poétesse rassemblées ici sous le regard avisé et raffiné d’Ariane Lefauconnier. Elles viennent du monde entier pour mettre en mots le corps, le désir, l’amour, la sexualité, la séduction, bref tous ce qui touche de près ou de loin au registre de l’érotisme. Et quels mots, quelle subtilité, quelle sensualité. Choisis avec un grand soin, les poêles tissent la toile d’un érotisme libérateur, politique et décomplexé.
Comment est née cette anthologie ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de diriger un projet comme celui-ci ?
Le projet est né lors d’une discussion avec Bruno Doucey : je déplorais la part très masculine des anthologies de poésie érotique présentes sur le marché, ou le parti pris misogyne de celles dédiées à l’érotisme féminin mais conçue par des hommes… Aussitôt, il m’a proposé de m’atteler à la tâche et de proposer ma vision de l’érotisme féminin ! J’ai tout de suite dit oui et me suis plongée dans ce réjouissant travail.
Comment avez-vous sélectionné les poèmes qui y figurent ?
La sélection s’est opérée progressivement, en croisant différentes contraintes : faire entrer au sein du corpus un certain nombre de poétesses dont le travail me semblait incontournable, mais aussi proposer des découvertes, notamment dans le domaine étranger.
Comment s’est opéré le chapitrage et découpage des thématiques ?
J’ai beaucoup échangé avec Bruno pour concevoir ce chapitrage. C’est lui qui a proposé l’idée de l’acrostiche : décliner le mot « érotisme » permettait d’instaurer un cadre ludique et de rendre le parcours de lecture surprenant pour les lectrices et lecteurs. Une fois trouvé les mots qui déploieraient ce terme, il fallait ensuite trouver les bons textes, notamment pour certains chapitres plus complexes que d’autres : je pense notamment aux chapitres Masturbation et Enfantement, pour lesquels il fallait, pour le premier, éviter de tomber dans le registre pornographique, et pour l’autre, sélectionner des poèmes qui ne fassent pas l’éloge béat de la maternité, mais qui posent un regard, une réflexion sur le rapport entre corps, sensualité et enfantement.
Comment définiriez-vous la portée politique de l’érotisme au féminin, en soi et dans la période actuelle ?
C’est une question très vaste, que j’aborde dans la préface en évoquant le travail d’Audre Lorde, qui parle de l’érotisme comme de « l’affirmation de la force vitale des femmes ». Je pense que la question de l’érotisme en tant qu’élan de vie, de puissance, mais aussi les problématiques liées à la sexualité, au désir, au corps sont essentielles aujourd’hui pour (re)penser notre rapport à la féminité. Et trouver de nouvelles façons d’habiter le féminin, avec tout ce que cela implique de résistance face à la violence de nos sociétés et aux injonctions qui nous sont faites.
Quel est votre poème préféré de ce recueil ?
J’aurais du mal à définir un poème préféré dans ce livre, je les chéris tous, je les ai choisis avec beaucoup de soin et d’amour afin qu’ils se complètent, se répondent…
Peut-être que je peux tricher en évoquant ces vers de la poétesse costaricienne Ana Istarú (traduits de l’espagnol par Claude Couffon) qui clôturent le livre, et qui sont repris en 4ème de couverture – ils me semblent résumer parfaitement ce que j’ai essayé de déployer dans cette anthologie :
« Une femme
a traversé l’aura d’une ville endormie,
la nuit de graphite.
Elle dénoue son sexe,
s’enfonce dans ses entrailles.
Elle n’attend plus.
Ne revient plus.
Elle émet le chant bleu des baleines.
Elle jure d’aimer
un inconnu.
Une femme
célèbre
un hymen de feu
avec la vie. »