Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
LA CHRONIQUE
Qui, au monde, n’a pas connu les atroces tourments de la rupture amoureuse ? Qui n’a pas vécu un enfer en voyant son univers sentimental voler en éclats et l’autre, s’en aller ? On a beau lire, vivre, écrire, penser, réfléchir à la questions depuis quelques siècles : rompre reste à peu près équivalent à une traversée du désert, sans crème solaire ni 4x4
Nina Bouraoui raconte dans ce nouveau roman la séparation d’un couple. Au bout de huit ans, Adrian et A. se quittent, Adrian a rencontré une autre femme. A. décortique, cherche des prises pour ne pas s’écrouler, passe par toutes les phases les plus insupportables et déchirantes qui suivent une séparation brutale. Elle vacille, chute, pleure, maudit, souffre, s'enferme dans une obsession totale où la rupture devient coeur de la vie... Sans pour autant sombrer totalement. Même le désespoir le plus profond et le plus intime n'éclipse pas l'espérance. Fou comme on se retrouve, comme on vacille avec parfois plusieurs années de recul, comme on se demande si, nous aussi, on a vécu la même chose de la même manière ou si on a opté pour d’autres issues !
Sans quitter les eaux troubles des états amoureux, Nina Bouraoui s’aventure de nouveau loin de l’autofiction, voguant sur un schéma narratif plus "classique" qu'elle manie avec aisance dans ce roman subtil. Ici, c’est bien l’amour qui devient personnage à part entière, vivant et évoluant librement à travers les états que traverse A. et ce que lui renvoie Adrian. Il y a quelques années, Nina Bouraoui parlait du « métier de vivre » . Son héroïne apprend son métier, tous les jours, à chaque étape de son état traumatique, et nous donne une belle leçon de vie. Et d'amour. Beaux Rivages - Nina Bouraoui. JC Lattès
L'INTERVIEW
[caption id="attachment_1994" align="aligncenter" width="386"]
Copyright F.Mantovani/JC Lattes[/caption]Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur la rupture ?
J'ai eu l'idée de Beaux Rivages un soir alors que j'essayais de consoler ma meilleure amie de son grand chagrin d'amour : j'ai voulu la sauver, par l'écriture. À cours d'argument je lui ai soufflé l'idée que si elle souffrait il y avait exactement la même scène, ailleurs, quelque part dans le monde, deux grandes amies, prenant un verre, l'une soutenant l'autre, à New York, à Berlin, à Buenos aires, à Hong Kong etc… Qui racontaient la même histoire, cherchaient les mêmes défenses, l'une pour sauver l'autre. Je me suis dit que nous étions tous et toutes accrochés au même radeau qui dérive sur un océan déchaîné quand on se faisait quitter. Que la rupture évoquait aussi d'autres ruptures, plus enfouies, plus lointaines et que l'abandon de l'autre nous reconnectait à d'autres abandons, primitifs. C'est en fait cette universalité qui m'a touchée. Beaux Rivages n'est pas un livre remède ou livre médicament, mais c'est un bon compagnon de déroute amoureuse avec pour adage : les larmes rassemblent davantage que les baisers. Nous sommes tous démunis face à la défaite amoureuse. Mais ce n'est pas un livre larmoyant. Je veux croire que l'amour triomphera toujours.
Vous avez laissé de côté l’autofiction qui caractérisait une partie de vos romans, comment vous sentez-vous dans cette « vraie » fiction ? Ecrivez-vous de la même façon ?
Depuis Standard, je suis revenue à mes premières amours, le roman "pur" ( à côté de ma propre histoire plus exactement) même si l'héroïne de Beaux Rivages est traversée de toutes mes peurs et de toutes mes obsessions. Prendre un "Je" narratif qui n'est pas mon "Je" me donne une liberté assez jouissive. Je me sens moins exposée et plus armée pour défendre mon sujet. J'ai aussi l'impression de m'ouvrir davantage aux autres, d'écrire de manière plus visible aussi, moins renfermée sur moi-même, avec toujours le souci d'embrasser, de serrer contre moi le plus de monde possible, car ce livre a été été pensé pendant la terrifiante année 2015, je l'ai écrit percluse d'angoisse et de tristesse et aussi avec un désir de résistance absolue même si la période est juste évoquée, avec pudeur, toujours.
L’amour, sous toutes ses formes, serait-il le fil conducteur entre vos romans ?
Je suis une obsédée de l'amour. L'amour amoureux. L'amour amical. L'amour filial. L'amour qui rend beau. L'amour qui fait tomber. Nous ne sommes rien sans amour. Quand il disparaît c'est la fin du monde. L'amour nous rend meilleur. Qu'il soit intime, à deux, ou bien plus large. Lui seul a le droit de nous faire pleurer parce que ses larmes se transforment toujours en or.