Parfois, une interview se transforme. Comme une vague, elle prend une forme inattendue et se déroule dans toute sa subtilité. Parti d’un livre, « Teahupo’o le souffle de la vague », roman noir qui a pour personnage principal la vague la plus dangereuse du monde, l'échange est devenu plongée dans un univers.
Bruxelles 2 octobre 2019 : il ne faisait pas seulement beau dans la capitale belge. Ce soir du 2 octobre 2019, elle accueillait un événement littéraire d’envergure européenne, la remise du Prix Littéraire de l’Union Européenne, EUPL pour les hashtags et les intimes. 14 lauréats et lauréates, 14 nationalités, donc, 14 représentants et représentantes d’une littérature en mouvement et sans frontières, en phase avec l’identité de leur pays et de leur culture. Reportage au coeur d’un projet d’envergure européenne.
C’est quoi, ce Bozar ?
Enfin, le sommet du célèbre dôme du Palais de Justice est dégagé de ses échafaudages ! Je le remarque en passant, en route pour quelques munitions énergétiques sur le chemin du Bozar - le Palais des Beaux Arts de Bruxelles. Par munitions énergétiques, j’entends bien évidemment un cappuccino bio. Et vegan, bien sûr. A Bruxelles, contrairement à Paris, on trouve… non, ce n’est pas le sujet. Revenons à notre Bozar. Quelques mètres après le très superbe Musée des Instruments de Musique et sa façade Art Déco, se tient le Bozar, à l’extérieur plus kitsch qui s’intègre parfaitement dans le paysage. Bruxelles jongle avec les styles comme avec les nationalités, les uns s’intégrant avec autant d’aisance que les autres. Je vous épargne la métaphore sur le classique / moderne que symbolise très bien ce musée par son architecture et ses thématiques d’expositions. Soit vous connaissez déjà le Bozar et vous êtes au courant, soit vous ne connaissez pas, et ça sera totalement abstrait comme tentative de description.
Le + : c’est beau
Il s’y passe quoi ?
Donc, le Bozar, où certaines salles d’exposition servent de cadre à la première partie de la soirée, et sans doute la plus captivante. Les 14 lauréats, réunis 2 par 2, lisent des extraits (en VO) de leurs romans puis échangent avec le public autour de leur texte. Afin de ne perdre personne en route, chaque participant se voit remettre un livre à la mise en page graphique qui contient un extrait des 14 livres primés, en version originale et en français. Comme ça, personne ne s’endort et tout le monde suit. Tout le monde peut accéder à ces voix singulières qui emplissent un espace habituellement silencieux.
Pour ma part, j’ai assisté à la lecture / rencontre entre Sophie Daull, lauréate française et Laura Freudenthaler, lauréate autrichienne.
« Ce qui nous est commun, je vais le découvrir grâce à ce prix »
Sophie Daull
« La littérature n’a pas une fonction politique, ça doit être beaucoup plus subtil que ça »
Laura Freudenthaler
Le + : c’est artistique
Oui, mais après ?
Une fois les lectures achevées, place au côté plus formel de l’événement. Plusieurs personnalités politiques, dont M. Tibor Navracsics, Commissaire Européen à la Culture, l’Education, la Jeunesse et le Sport, Mme Nina George, Présidente du Conseil Européen des Ecrivains (EWC), M. Rudy Vanschoobeek, Président de la Fédération des Editeurs Européens (FEB), ou encore Mme Hanna Kosonen, la Ministre finlandaise de la Culture et des Sciences, prennent la parole quelques minutes pour livrer leur vision de l’Europe, de la culture, de la démocratie et des valeurs qu’ils se font fort de porter.
« Culture et société ne sont pas séparables »
Hanna Kosonen
Après les discours officiels, les écrivains lauréats disent quelques mots sur leurs démarches et le sens qu’ils mettent dans leur livre. C’est là, avant toute connaissance plus approfondie de leurs textes, que se dégage l’énergie de leur écriture, de leur volonté de mettre en mots leur réalité. En quelques phrases, chaque écrivain dessine un univers particulier qui lui appartient. Apparaissent alors les problématiques fortes d’un pays, les questions qui amènent certains artistes à les développer et en faire des romans. La question du Brexit, pour l’une, du patriotisme pour l’autre, ou encore un coup de gueule de la part du lauréat italien, Giovanni Dozzini en faveur des ONG qui sauvent des dizaines de migrants en Méditerranée « Ce sont nos héros ! » lance-t-il le poing levé.
Tous, qu’ils parlent de problématiques générales, personnelles, à consonance politique ou historiques, tous expriment un versant de notre époque et les tendances qui la traversent.
Le + : c’est cosmopolite
Il y avait des people ?
Des écrivains, des traducteurs, des libraires, des représentants de l’EUPL, d’Europe Créative et des différentes instances de la Commission Européenne, des journalistes, des ambassadeurs, des photographes, des familles, des jeunes et des moins jeunes. Il y a des professionnels et il y a les lecteurs. Ils ne se mélangent pas mais voisinent avec bienveillance. C’est toujours amusant de noter, dans ce type d’événement, qui vient écouter et découvrir, et qui vient surtout travailler. En dehors des tenues vestimentaires, les attitudes signent rapidement les raisons de la présence de chacun à cette cérémonie.
A noter : l’écrivaine finlandaise Sofi Oksanen déroule un discours choisi et remarquablement construit, mettant notamment l’accent sur la diversité et les choix importants qui présidaient à la publication d’un livre, en tenue de soirée futuriste très élégante, avec de magnifiques dreadlocks colorés. Au milieu des blasers et des chemises blanches ou bleues, ça détonne. Instant rock’n’ roll et poétique entre les bulles de champagne.
Le + : c’est discret
En vrai, c’est comment une remise de prix littéraire ?
Intense. Au fil des discussions et des échanges, c’est un panel de possibilités qui s’ouvre. Des perspectives, des initiatives, des projets, des idées, des démarches, des envies. La littérature porte, plus que tout autre médium artistique, une parole, un message qu’elle vient déposer entre nos mains. Grâce à une initiative de cette envergure, les voix parviennent les unes aux autres et dépassent les frontières. Dans un contexte économique, social et politique tendu à l’échelle internationale, dans un espace saturé par les réseaux sociaux qui nous permettent de tout savoir sur tout en quelques minutes, la littérature joue un rôle fondamental. Epaulée par la traduction, sésame qui rend possible cette circulation, elle seule nous donne à voir un pays, une culture, une pensée de manière aussi directe.
En conclusion, j’ai beaucoup entendu parler de la motivation et de l’engagement des « petits pays », ceux qui ont été secoués par des problématiques géopolitiques violentes, qui ont subi la pression des « grands » tout au long de l’histoire. De la part des écrivains venus des ces horizons, j’ai rencontré une enthousiasme et une fraîcheur motivants. Il serait temps qu’en France, où nous nous enorgueillissions de nos prix littéraires souvent poussiéreux et engoncés dans leurs postures, nous pensions à nous ouvrir à l’altérité de nos voisins avec un peu d’humilité et de curiosité. Certains éditeurs français portent les voix européennes en participant aux programmes soutenus par Europe Créative, et l’on ne peut que s’en réjouir en attendant qu’ils soient plus nombreux.
Le + : c’est primordial