[INTERVIEW] Les éditions Marie Barbier

'est le genre de maison comme on en découvre (trop) peu souvent.

[INTERVIEW] Les éditions Marie Barbier

Date
3/6/2021
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C'est le genre de maison comme on en découvre (trop) peu souvent. Une ligne éditoriale rigoureuse et éclectique, des textes originaux et indispensables, une esthétique sobre et affirmée, bref, Marie Barbier, avec sa maison d'édition éponyme, incarne une vision de l'édition à la fois pointue et créative. Un peu comme si le 19e siècle et son foisonnement intellectuel avait rencontré la soif d'aventure d'une exploratrice littéraire. Marie Barbier, avec Stina Stoor, est d'ailleurs conviée dans les Mondes Sauvages du festival littéraire Colères du Présent 2021, à retrouver en ligne par ici.

Je suis éditrice parce que... je veux porter de nouvelles voix.

Comment êtes-vous devenue éditrice ?

Une envie que j’ai depuis mes premiers stages en tant que lectrice chez des éditeurs indépendants (Le Serpent à Plumes…) et qui a pris du temps. J’ai appris le métier en littérature, mais dans d’autres secteurs aussi : scolaire, tourisme, droit. Toujours au service éditorial, car c’est le travail sur le texte qui m’intéressait. J’ai été à bonne école avec le scolaire ou juridique, car les calendriers sont incompressibles (les manuels doivent sortir en avril pour être remis aux prescripteurs) et la réactualisation permanente (la jurisprudence évolue tout le temps). Il faut travailler vite et bien, sur des textes austères, car très techniques, de référence. À cette expérience éditoriale, s’est ajoutée celle de la bibliophilie, côté rédaction cette fois, pour présenter des livres allant du XVe au XXe. J’ai pu voir le type d’ouvrages en circulation les siècles précédents, tout en me raccordant à la collection et aux ventes aux enchères. Le collectionneur, toujours en quête de la pièce unique, aime connaître la story derrière le beau livre, ce qui suppose parfois de vraies investigations, un réflexe qui m’est resté. Toutes ces expériences ont convergé vers un projet éditorial qui me tenait à cœur, mêlant art, littérature et bande dessinée. Sorti en 2017 dans sa version luxe, Flaubert-Druillet : une rencontre décryptait l’adaptation par le dessinateur de bandes dessinées Philippe Druillet du roman de Gustave Flaubert, Salammbô. L’accueil réservé au livre a donné l’impulsion de la maison, et tout s’est structuré très vite : statuts, comptabilité, diffusion, image…

Comment avez-vous défini la ligne éditoriale de votre maison ?

Le Flaubert-Druillet est le premier livre d’art de la collection Une rencontre. J’ai poursuivi la création de livres d’art dans la veine du Flaubert-Druillet, dans une collection intitulée Une rencontre. Deux illustrés sont sortis depuis. Pétrone-Blutch en janvier 2019 (sur l’adaptation de Pétrone par Blutch dans un album intitulé Péplum aux éditions Cornélius), et Tolstoï-Rabaté (sur le roman russe d’Alexis Tolstoï, Ibicus, paru en quatre tomes chez Vents d’Ouest). J’ai consacré l’autre partie du catalogue à ma marotte, la littérature, ouvrant délibérément le champ d’investigation : récits personnels, nouvelles étrangères, premier roman d’inspiration historique, fantasy du siècle dernier… C’est un catalogue éclectique, mais délibérément restreint. Je ne vise pas plus de trois à quatre publications par an. Les illustrés prennent beaucoup de temps, et je veux pouvoir bien accompagner les auteurs ou leur œuvre (quand ils sont décédés et méconnus, comme c’est le cas pour Francis Stevens, première grande autrice américaine de fantasy américaine).

On raconte de tout sur les sélections de manuscrits, comment les lisez-vous ? Comment choisissez-vous vos auteurs ?

Le catalogue ne s’est pas fait d’après le comité de lecture, mais sur l’approche directe des écrivains ou par le filtre d’autres professionnels (traducteurs, agents…). Le comité de lecture est là, mais il est difficile d’être plus dissuasive que mon appel à textes où j’énumère les erreurs d’aiguillage qui font perdre du temps à tous (romans d’espionnage, check lit, etc.). C’est un reste de mes premières expériences de lectrice : trop de gens écrivent pour eux, dans l’espoir d’être publiés, sans se soucier assez d’intéresser le lecteur. Il n’y a pas ce partage, qu’est pourtant l’écriture, puisque c’est l’envie d’être lu qui pilote tout. Le caractère parfois thérapeutique ou trop autocentré (et sans la force du style) des textes peut être très asphyxiant si vous passez la journée à les lire. Néanmoins, de très belles choses peuvent arriver par ce biais et j’en ai bien reçu un où je me suis tâtée… C’est un canal que je vais développer mais qui n’est pas pour l’instant le principal.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?

Le travail au texte comme je l’ai évoqué, et porter la voix de quelqu’un jusqu’où je peux. C’est un rapport beaucoup plus actif que la lecture, le texte se prépare, s’améliore, il passe par plusieurs étapes avant d’être bon pour l’impression. C’est une réalisation qui donne toujours beaucoup de satisfaction quand vous touchez le plat de la couverture (même si ça n’est pas parfait et que la peur de la coquille que l’on ne peut plus corriger vous étreint…). Un autre aspect stimulant est que c’est un travail d’équipe qui mobilise un certain nombre d’acteurs, sans compter la promotion et la diffusion qui grossit considérablement les rangs. Il y a une vraie synergie autour d’un titre, qu’on réalise mal de l’extérieur, comme toute production, mais qui se voit au résultat. C’est vraiment stimulant. Et puis il y a les rencontres. Celle d’Elena Balzamo par exemple, que j’ai contactée alors que je n’avais pas créé la maison, pour lui dire spontanement tout le bien que je pensais d’un de ses incipits (où elle rapporte que sa grand-mère russe, pas activiste mais tout de même en procès demandait au juge ce qu’il lui reprochait, à sa génération et ce dernier de répondre : « d’avoir de la mémoire »). Les professionnels aussi, l’édition cristallise beaucoup de passionnés, d’indépendants, d’engagés. Tout ceci porte.

Quelles sont vos maisons préférées à part la vôtre ?

J’aime beaucoup de maisons pour différentes des raisons. Il y a par exemple des éditeurs dont vous avez le sentiment que vous pouvez acheter n’importe quel titre peut-être ne l’aimerez peut-être pas, mais vous n’aurez pas perdu pas votre temps ; c’est Gallmeister, Sillages, Actes Sud, La fosse aux ours, Verdier, Zulma, Inculte, Allia… Il y a des éditeurs aussi engagés artistiquement que littérairement, ou qui oxygènent par leur catalogue audacieux ou créatif : bravo aux Inaperçus, à l’Atelier du poisson soluble, aux éditions Cornélius…

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