Parfois, une interview se transforme. Comme une vague, elle prend une forme inattendue et se déroule dans toute sa subtilité. Parti d’un livre, « Teahupo’o le souffle de la vague », roman noir qui a pour personnage principal la vague la plus dangereuse du monde, l'échange est devenu plongée dans un univers.
Drôle de nom pour une jeune maison d'édition qui n'a rien à voir avec les sports nautiques mais plutôt avec la singularité et la pluralité artistique ! Micro maison indépendante née en 2017, Les Véliplanchistes s'attachent à défendre la littérature, la photographie, la linguistique et la musique contemporaines, à faire voisiner les arts et les genres, ainsi qu'à ré-éditer certains textes injustement tombés dans les limbes de l'oubli. Engagées sur plusieurs fronts, écologie, féminisme, culture, les éditions des Véliplanchistes font souffler un vent de fraîcheur dans le paysage de l'édition.
Je suis Éditrice... pour faire les livres que j’aime et faire revivre d’inconcevables textes oubliés…
Comment êtes-vous devenue éditrice ?
Je suis d’abord passée par la musique, le journalisme et la communication. C’est en travaillant pour un magazine culturel que la confirmation de vouloir travailler dans l’édition s’est imposée. Passionnée par la langue française et les arts, le travail sur des textes est ce qui m’attire tout particulièrement. Après un master de lettres puis d’édition, j’ai commencé en tant que correctrice en freelance, et suis désormais éditrice.
Comment avez-vous défini la ligne éditoriale de votre maison ?
Au début, je voulais créer une maison spécialisée dans les textes d’artistes de la musique, comme l’initiait le roman Ballade sauvage d’Axel Desgrouas, leader du groupe Metro Verlaine. Bien trop fermée, la maison s’est ouverte à d’autres écrivain.es et genres, comme l’art (photographie, illustration), la poésie et la réédition.
Cette impulsion est notamment venue des auteurs et autrices qui nous ont envoyé leur manuscrit et pour lesquels nous avons eu un véritable coup de cœur, comme Bruno Avitabile et Laetitia Monfort. Les Carpes et Vie et œuvre d’Albert Mur des auteur.trices susnommé.es sont d’ailleurs les premiers titres de la collection Entrelacement mêlant court texte (essai, poésie, nouvelle) et art (photographie, dessins, etc.), dans un petit format et sur du beau papier.
Nous avons aussi le projet de rééditer des textes oubliés d’autrices méconnues, une démarche commencée avec la réédition de La Culotte en jersey de soie de Renée Dunan, une écrivaine féministe et anarchiste en lice pour le Goncourt dans les années 1920, et pourtant oubliée de nos jours.
Ce roman initie aussi notre nouvelle collection « Les érotismes » qui présente des rééditions et des œuvres originales (dont on attend encore le manuscrit coup de cœur pour faire suite à Renée Dunan). Cette collection a choisi de mêler tout ce qui concerne le sexe et les sexes, les relations humaines portant autour de ce sujet, que cela soit de l’amour pur, du désir, du coït ou des tabous. Qu’il y ait excitation, plaisir, ou pas. Notre volonté, et intérêt, est de montrer tout ce que la littérature regorge en termes de relations amoureuses ou sexuelles, afin d’étudier les relations femme-homme, les représentations genrées, et de faire le point entre hier et aujourd’hui, ce qui a changé et ce qui semble éternel.
Comment choisissez-vous vos publications ?
Je fonctionne au coup de cœur pour certains, pour d’autres, ceux qui ont attiré mon attention, je les soumets à un comité de lecture composé de Corentin, seconde personne qui travaille à l’année aux éditions, et de personnes ayant souhaité en faire partie.
Comme nous sommes une maison d’édition avec un statut d’association de loi 1901 et que nous sommes tous bénévoles, nous n’avons pas d’attentes particulières sur un manuscrit. Notre pression économique se résume à générer suffisamment de bénéfice pour assurer le prochain projet d’édition, ce qui peut malgré tout être parfois difficile, notamment lorsque nous prenons des risques sur un titre. Nous ne faisons pas d’études marketing sur un manuscrit pour vérifier qu’il se vende au mieux, nous publions ce qui nous paraît être une œuvre ou bien des textes aux propos forts, engagés.
Notre indépendance et la qualité d’activité bénévole nous permettent d’être libres dans nos choix. Nous avons la chance de pouvoir fonctionner au coup de cœur ou, pour la réédition, de publier des œuvres pour lesquelles nous pensons inconcevables qu’elles ne soient plus publiées et disponibles à la vente. Beaucoup d’autrices et de poétesses sont invisibilisées avec les années, sans raison apparente, et nous avons vocation à remédier cela, par la réédition.
Avec Corentin nous sommes de grand.es lecteur.trices, nous portons une attention particulière à la langue, à la structure du récit (bien que celle-ci puisse être retravaillée lors de l’édition avec l’auteur.trice), à la psychologie des personnages, au propos. Nous sommes très attentif.ves à la manière d’écrire, d’amener l’histoire, de former des phrases. Voilà ce qui nous importe avant tout.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?
Nous vivons dans un monde un peu parallèle, celui de la littérature et des arts. C’est un mode de vie particulier, entre la bohème et le surmenage, lire en pleine semaine, un après-midi au soleil et travailler sans cesse, du matin au soir week-ends compris. Constamment plongée dans divers projets, diverses époques, je me perds dans une histoire à éditer, je pars à la recherche d’illustratrice en galerie ou sur Instagram, je relis un essai d’astrophysique et révise mon système solaire… Le métier d’éditrice et de directrice de maison d’édition me donne une richesse rare et l’occasion de m’ennuyer uniquement si je le souhaite. J’ai toujours dans la tête un nouveau projet qui me stimule, une poétesse à faire connaître, une photographe que je veux publier, etc.
Quelles sont vos maisons préférées à part la vôtre ?
Anamosa. J’ai assisté à ses débuts lorsque j’étais en master d’édition à Rennes en 2016, pour un projet de cours, j’avais réalisé une petite entrevue avec Chloé Pathé, sa fondatrice. J’avais notamment adoré leur revue Delta T et les sujets de leurs essais. Le prix Femina 2020 a été décerné à Christophe Granger pour son essai Joseph Kabris. C’est une véritable consécration, une forme de reconnaissance pour tout le travail accompli par Chloé. Pour moi, Anamosa représente l’espoir du métier, la possibilité de monter seule sa maison d’édition indépendante et de réussir. J’ai beaucoup d’admiration pour cette maison d’édition et sa fondatrice. J’espère avoir le même destin un jour !
Les éditions du Chemin de fer font de très beaux livres, avec du beau papier et un graphisme que j’apprécie beaucoup. Ils font eux aussi un travail de réédition d’autrices et auteurs méconnu.es très intéressant !
Paris-Brest Publishing propose des livrets de photographie, de très beaux objets graphiques racontant une histoire par les photographies d’un.e artiste. Je possède celui de Thomas Bouquin que j’aime beaucoup ! Le livret de Sara A. Tremblay me fait de l’œil…