Parfois, une interview se transforme. Comme une vague, elle prend une forme inattendue et se déroule dans toute sa subtilité. Parti d’un livre, « Teahupo’o le souffle de la vague », roman noir qui a pour personnage principal la vague la plus dangereuse du monde, l'échange est devenu plongée dans un univers.
Six ans sans Alexander McQueen. Un mois sans David Bowie. Le premier. Le premier mois de ma vie sans David Bowie. Il y a maintenant longtemps, quelqu’un m’a dit, en remettant Rebel Rebel sur la platine, « Quand Bowie mourra, porteras-tu le deuil ? Tu en serais capable ».
Je n’ai pas arboré de brassard noir. Mon sweat agnes b. blanc avec une étoile noire, que je portais le 8 janvier à la sortie de Blackstar, a été remplacé par le noir orné d’une étoile blanche.
Les mots, eux, se sont limités à un « Non! » quand j’ai ouvert, comme tous les matins, Facebook au réveil. Ma timeline, Bowie, Bowie, Bowie. A l’infini, même de la part de contacts aux goûts musicaux peu définis. Il était partout. Il m’a fallu quelques secondes avant de comprendre. Avant de voir l’annonce, des mots explicites qui n’avaient aucun sens. Mort ? David Bowie ?
Tout le monde en parlait. Tout le monde en parle encore.
Je n’en ai pas parlé, moi. J’ai lu, beaucoup. Les magnifiques articles de Diacritik, nimbés du silence de cette soeur de plume qui m’écrivait, au début de l’année « Si tu étais la cousine de David Bowie, je t’épouserais ! (Après avoir divorcé bien sûr) ».
Et puis David Bowie est mort. Cette icône, cette idole, ce modèle. Ce génie androgyne amené dans mon univers par ma mère qui, un jour de mon adolescence, achète le CD de Ziggy Stardust. « J’avais le vinyle » dit-elle. Effectivement, à la mort de ma grand-mère, je le récupère, en parfait état. Précieux vestige pressé d’une jeunesse esquissée.
Rock’n’roll suicide. Five Years. Mon monde s’ouvre, une lueur pailletée vient semer le trouble dans un espace cloisonné. La science-fiction s’invite dans le fantastique elfique de cet âge.
Homme, femme, humain, alien, visionnaire, schizophrène.
Je lis en écoutant de la musique, j’écris en écoutant de la musique. J’ai grandi dans la musique. Je vis dans la musique. Pas une journée sans.
Sur ma platine, les vinyles craquent. Tout le monde parle de David Bowie, moi je ne peux pas. Je regarde les photos de cette écrivain qui en poste religieusement tous les jours, des magnifiques et rares. Il n’y a toujours pas de mots, il y a une sensation de vide artistique.
Il y a le refus de la mise en perspective. Un jour tes idoles mourront. Un jour tu te réveilleras sans tes référents créatifs. Un jour tu vieilliras, toi aussi. Et ça ne seront plus seulement tes idoles…
"Sa mort nous rapproche de notre propre mort", m’écrit une amie écrivain.
Tout le monde parle de la mort de David Bowie. Il n’a jamais été aussi présent, aussi célébré, aussi écouté. Sa mort le rend immortel. Tout le monde parle de David Bowie, sauf moi. Que dire quand le sentiment de vide efface l'essence des mots même ?