Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
OLNI : Objet littéraire non identifié Ou plutôt, si. Clairement identifié comme étant une perle, un de ces livres que l’on a du mal à « simplement » qualifier de livre. Par leur originalité, leur densité, leur forme, entre littérature et arts visuels, littérature devenue art physique, modulée sous la plume d’un écrivain comme la matière sous les mains d’un plasticien. Ils sont trois, ces OLNIS, à traverser le ciel littéraire et nous embarquer pour un voyage intergalactique.
Crash Test de Claro. Un accident, la chair, le désir. Claro convoque David Lynch et JG Ballard dans ce triptyque à la fois éclaté et intimement relié par la jouissance. Par le désir, la pulsion et la répulsion. Dans ces trois volets, un personnage principal se dégage des thématiques : la chair. Le corps humain dans sa mutation, dans ses égarements et ses fragilités. Il est question du désir, bien sûr, de mort, de rapport à l’extérieur, à l’autre. Il est aussi question d’enfermement, de violence, beaucoup, de domination et de soumission. Il est question d’intime, exprimé avec une fragmentation poétique et musicale, inspirée et toujours en deçà de l’idée même de trivialité. Même quand il s’agit de pornographie. La langue ondule, dessine, les mots caressent et propulsent l’esprit pour amener l’histoire là où on ne s’y attend pas forcément, où l’on est forcés de lâcher les concepts et les attentes littéraires pour se laisser perdre dans l’histoire. Claro joue avec les typos, les marges, les interlignage, s’approprie la mise en page pour la faire prolonger la lecture, l’expérience de lecture, la faire devenir un objet dans le texte, et son texte, un objet textuel écrit par un surdoué de la prose. Editions Actes Sud
L’Interlocutrice de Geneviève Peigné. Après la mort de sa mère atteinte d’Alzheimer, Geneviève
Peigné trouve dans sa bibliothèque une série de romans policiers de la célèbre collection « Le Masque ». Les livres sont annotés, griffonnés, commentés, prolongés. Comme si leur lectrice, se sentant dépérir lentement, se raccrochait à une réalité tangible à travers les histoires, répondant aux personnages, s’immisçant dans le récit pour conserver le fil de sa mémoire s’étiolant. Sa fille retranscrit des passages de ces dialogues, les fait alterner avec son récit à elle, des anecdotes sur sa mère. La fiction et la réalité se répondent, voisinent, exprimant tour à tour les différentes facettes de cette dame, Odette, les différents niveaux de réalité de son univers qui se rétrécit peu à peu. Elle dépasse rarement les 120 premières pages des policiers, revenant dessus par couches, parfois. Le livre qui ressort de cette expérience, à la fois littéraire et conceptuelle, frappe. C’est beau et terrible à la fois, inventif et dramatique, amusant et triste. L’idée d’Odette est magnifique, en soi, inventive et presque décalée dans sa créativité. Dans le contexte, il devient fragile, dérisoire devant l’implacable étendue de la maladie et criant de poésie, hurlant de volonté et de vie. Il faut être courageuse pour écrire un livre comme celui-ci, courageuse et souhaiter rendre un magnifique hommage à sa mère. Editions Le Nouvel Attila
Basse Saison de Guillermo Saccomanno - traduit de l’espagnol par Michèle Guillemot. Comment ne pas penser à Twin Peaks avec ce roman multiple, cette bête gigantesque, cette fresque grandiose ? Des morts, à Villa Gesel, ville à 400 km de Buenos Aires, ville de vacances en hiver, des intérêts croisés, des violences non dites, des récits qui rebondissent et s’enchâssent… Le rédacteur de la gazette locale, El Vocifero, Dante, témoin du théâtre urbain, voit se mêler une rumeur d’abus sexuels dans un établissement scolaire chic, l’assassinat d’un bébé, des militants écolos véhéments, des accusations de corruptions, une chasse à l’homme, et retranscrit les faits, cherchant à les mettre en lumière. A insister sur la saleté qui suinte de partout dans cette ville désertée, insister sur une menace planante et dérangeante qui pèse sur cette ville aux secrets de polichinelle enfouis et dangereusement explosifs. L’écriture flamboie, les récits alternent et s’imbriquent dans une maitrise époustouflante de l’écriture et des fils narratifs. Guillermo Saccomanno mène un paquebot avec la souplesse d’un danseur en apesanteur. Son livre avance, s’enfonce dans une horreur quotidienne de plus en plus dense, laissant émerger les travers humains les plus bas, les décrivant avec une précision et une rigueur absolue. Il y a fort à parier qu’on ne verra jamais plus les stations balnéaires en hiver de la même façon après avoir lu ce livre… Editions Asphalte