Parfois, une interview se transforme. Comme une vague, elle prend une forme inattendue et se déroule dans toute sa subtilité. Parti d’un livre, « Teahupo’o le souffle de la vague », roman noir qui a pour personnage principal la vague la plus dangereuse du monde, l'échange est devenu plongée dans un univers.
C'est tout nous
America
par Rich Ferguson
(Traduit de l’anglais par Eva Monteilhet)
Vois comme on vit en combattants de la liberté,En motards tatoués,Rats de bibliothèque et piliers de comptoir.Nous les brisés, les abandonnésQui prenons des vies, distribuons des auréoles,On fait trembler la terre, on se joue de l’apesanteur.Vois comme on vit chaque jour,On naît, on renaît,Enchaînés dans les rangsDe la cruauté, de l’indifférence.Rêveurs aux yeux écarquillés,Punching-balls vivants coupables seulement de médiocrité.Richesse,Pauvreté, maladie.Si faciles à blesser,Si lents à guérir.Chacun d’entre nousRajoute une couleur à la roue de la douleur.Nos bleus passent du violet au noir,Au jaune, au brun,Et puis plus rien.Comme nous.On naît, on renaît,On achète, on bat des records,On est en tête, on se fait doubler,On pousse on bousculePour se frayer un cheminDans la bagarre, les centres commerciauxÀ coups de crise cardiaqueTous autant qu’on est.Nous retaper.Des shoots deTélé, de porno, de gossips de magazineNous aveuglent de délicesPour nous charmer, nous soumettreAssez longtempsPour nous passer la corde au cou.Pendez-les, haut et courtDu côté d’où vient le vent.Nous sommes Tous pris dans la météo du moral :Soleil ce matin, avec une bonne probabilitéDe clarté, de certitude.Grosse couverture nuageuse, 95% de risque de déni. Vois commeOn réduit tout, on sabote, on se rend,Esclaves, aux maîtres de la détox, de la poudre aux yeux.Un hémisphèreCoincé à l’âge de pierre,L’autre catapulté dans la génération Y.On estRadioactifs, hyperactifs,Réactifs, impulsifs,Digitalement, génétiquement,Physiquement modifiés,Annotés, améliorés,Frelatés, dégradés,Sous-notés.Éradiqués.Alors chante, prie, méditeOn s’invente, on se réinvente.De liftings en nouvelles religions, Nouvelles croyances.Tant de passages, de nouveaux départs,On fait, on défaitEt au final souvent on se rateAu rebond.Fulmine, condamne,Manifeste pour te sortir de ton malaise.Soudoie, mens, ferme les yeuxPour y retourner.C’est tout nous.Sauveteurs, arnaqueurs,Guérisseurs, dealers,Vois comme onSauve les baleinesLes phoques,Les enfants,Pendant que les autresDévaluent,Déposent le bilan, rognent sur les dépenses.Les multinationales se goinfrentSur le dos des petites gens ;Les happy meals ne sont plus qu’un lointain souvenir.Mords là-dedans et dis-moi si ça te reste en travers.Nous sommes.Nous étions.On naît, on renaît,Issus de l’eau, de l’argile.
Et de cellules capitonnées.
Affronte l’étrangeté.Affronte la musique.Affronte la vieLa vie qui n’est qu’un jeuQu’on met sur pauseAccéléréRetour.C’est tout nous.On naît, on renaîtDans le crack, la cocaïne,L’ecsta, le LSD,Le brouillard des hallucinogènes pour s’étourdir.Et le gros champignonReste la plus grosse saloperieDe toutes.Crache, cogne pour te sortir de la mêlée,Suce, baise pour y retourner.Amnésie,Anarchie, accomplissement.Amour, haine, honte, faute.Les belles paroles des messiesPerdent leur sens plus viteQue ne change le cours de la bourse :À la hausse, à la baisse.Flashs de photo et coups de feu,Neurones qui chauffentChaleur du foyer.Ça suffit à nous finir,Pour sortir de ce labyrinthe.Vole, tue, mens pour y retourner.C’est tout nous.On naît, on renaît dans des camps d’extermination,Esclaves du travail,Du racisme.Pas de consensusPour la compassion et l’égalité.Les bombes sont toujours plus intelligentesEt la violenceLa nouvelle taille uniqueÀ l’échelle de l’humanité.Vois comme il est difficileDe raconter, de communiquerSur ces ondes qui ne nous apportent,En oscillations interminables,Que détérioration des situations, DéclarationsEt surtout désinformation.On fait de notre mieux pourÉchapper aux nuisances sonores,Aux barrières culturelles,Physiques,Psychologiques,À l’ambiguïtéDe nos mots, de nos phrases,À la cacophonieDes harmonies en oxymore.T’as dit quoi ?Tu m’entends ?C’est tout nous.On naît, on renaît,Ces vieux os tremblants sont bien réels Maintenant.Notre graine a pris racine,S’est disperséeDans les prairies.Vois comme on a bien fleuri,Et puis on s’est perdus,CoincésDans les opens spaces, la criseEt les embouteillages.Vois comme on loueCourage et assurance,Révoltes et anges du salut,Vois comme on fait de nos viesUn miracle, un chaos,Un reliquaire, une notice nécrologique.On naît, on renaîtEntre puissance et captivité,Libération, victimisation,Parodies et sauvagerie,Dévotions et déités.Nous sommes,Nous étions,Et nous sommes toujoursLa terre des indigents, le refuge des exploités,La terre des insatiables, le refuge des esclaves,La terre des affranchis, le refuge des engagés,La terre des invisibles, le refuge des enragés.
FIN
Rich Ferguson est un poète américain. Il a pour homonyme un mentalist, mais lui, le vrai, a partagé la scène avec Patti Smith, TC Boyle, et un paquet d'artistes et poètes reconnus. On aime son style saccadé et fluide à la fois, la musicalité de ses mots. Son dernier recueil s'appelle "8th & Agony". Il n'est pas traduit en français, mais que font les éditeurs ?
Et pour vous la péter "c'est tellement mieux en anglais", on vous laisse découvrir la VO!
See How We Are
How we live as freedom fighters,easy riders,bookworms and barflies.The broken and abandoned.Life takers, halo makers,earth shakers, gravity breakers.See howwe live everyday,born and reborn into castesof cruelty and consciousness.Wild-eyed dreamers,sucker-punched underachievers.Wealth,poverty, sickness.Quick to wound,slow to heal.Each of uspart of the color wheel of pain:bruises changing from purple to black,to yellow and brown,then to nothing at all.We are.Born and reborninto ticket takers, record breakers.Get ahead, fall behind.Pushing and shovingour way intobrawls, malls,heart attacks,and padded walls.Face the strange.Face the music.Face the wayour lives are soplayable, pausable,fastforwardable,reversible.We are.Born and reborninto crack, cocaine,ecstasy, LSD—haze and hallucinogens for daze.Still the mushroom cloudis the biggest mindfuckof them all.Spit, kick, punch our way outta the fray.Suck, screw, buy our way back in.We are.Amnesia,anarchy, accomplishment.Love, hate, shame, blame.Messiahs madeand broken fasterthan changes in theStock Exchange.Uptick, downtick.Camera flash, muzzle flash.The firing of brain cells,and friendly fire.It’s all enoughto get us down,shoot us up.Syringesfilled withTV, porn, gossip magazines—temporary blurs and blissesto charm us into submissionlong enoughto slip the noose around our necks.Hang ’em high, hang ’em low.Any way the wind blows.We are.All a part of the emotional weather:sunny with a chanceof clarity and conviction,or cloudy with a 95% chance of denial.See how wedownsize, sabotage, surrender.Slaves to masters of detox and whitewash.One brain hemispherestuck in the stone age,the other catapultedinto the electronic age.We’reradioactive, hyperactive,reactive, stupefactive.Digitally, genetically,anatomically modified.Annotated, ameliorated,bifurcated, degraded,underrated.Eradicated.Chant, pray, meditateour way outta the maze.Steal, kill, lie our way back in.We are.Born and reborninto extermination camps,slave labor,and racism.Compassion and equalitygo without consensus,while bombs keep getting smarter,and violence becomesthe universally acceptedone size fits all.See howit’s so hardto relate, communicate.Airwavesfilled withendless oscillationsofaggravations,testifications,and disinformation.Doing our bestto break throughenvironmental noise,cultural noise.Physical,psychological,attitudinal barriers.Ambiguityof words and phrases—a cacophonyof oxymoronic harmonics.Say what?Can you hear me?We are.Born and reborninto personal invention, reinvention:facelifts, new religions and belief systems.So many comings and goings,doings and undoingsthat we often missour truest, highest selveson the rebound.Curse, condemn,protest our way outta the malaise.Bribe, jive, connive our way back in.We are.Lifesavers, deal breakers.Healers, death dealers.See how wesave the whales,save the seals,save the children,while otherscontinually devalue,mismanage and underfund:health, welfare, education.Corporations supersizingwhile makingnot-at-all happy mealsof the common man.Bite into that oneand tell me if you feel any heartburn.We are.We were.Born and rebornfrom water, clay;the tremblings of fossilized bonesturned word.Through time,our tongues soaked in rhyme, reason,treason and malfeasance.The seed of us taking root,spreading acrosswide-open spaces.See howwe’ve flowered;faltered;gotten stuckin cubicles, crisis,and traffic.See how we praisecourage and confidence.Mayhem and doomsday angels.See how we make our livesa miracle, a mess.A reliquary, an obituary.Born and reborninto power and imprisonment;liberation, victimization;travesties, savageries;devotions and deities.We are.We were.We continue to be:The land of need and home of the underpaid.The land of greed and home of the enslaved.The land of the freed and home of the engaged.The land of the unseen and home of the enraged.