Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Comment écrit-on un roman ? Dans quelles conditions ? Avec quelles sources d’inspiration ? Qui sont les femmes et les hommes à l’oeuvre derrière les livres ? Comment vivent-ils leur acte de création ?
Si le cinéma bénéficie de « making-of », si Dominique Tarlé, en photographiant les Rolling Stones en pleine élaboration de Exile on main street a immortalisé le concept même de genèse d’une oeuvre d’art, les livres, eux, restent entiers dans leurs mystères. Secrets, les écrivains n’aiment pas toujours dévoiler leurs petites manies, leurs notes, leur espace intime, où les mots passent de leur cerveau au papier. Ils parlent, parfois, par anecdotes, par des livres sur leur écriture, comme Duras. Quel lecteur assidu, amoureux des livres et des mots n’a pas imaginé se promener dans le cerveau d’un écrivain qu’il admire ? D’observer les connexions et déclics ?
Ne rêvez plus ! Voici un making-of littéraire inédit, un genre nouveau, une nouveauté dans le domaine de la littérature. Pour inaugurer ce concept, j’ai invité Nina Bouraoui, écrivain dont je suis le travail depuis plus de quinze ans, à parler de l’un de ses plus beaux livres : Mes Mauvaises Pensées.
Paru en 2005 et couronné du Prix Renaudot, Mes Mauvaises Pensées est un roman dense et intense, construit autour des associations d’idées libres propres à la psychanalyse. Entre ombre et lumière, entre introspection et ouverture sur le monde, entre intimité et extériorisation, ce texte porte le lecteur. Par le souffle qui se dégage du style, par les invitations à la curiosité culturelle, par la force qui se dégage de cette écriture haletante. Editions Stock
1. La genèse
Pourquoi avez-vous choisi de nommer ce livre « Mes Mauvaises Pensées » ? J’aimais le caractère religieux, interdit, transgressif du titre. Avoir de mauvaises pensées c’est flirter avec le mal.Pourquoi ces pensées (phobies, peurs, obsessions…) vous ont-elles semblé mauvaises ? Mauvaises car toujours dirigées contre soi, contre l’autre. Des sortes de sédiments d’idées inconscientes refoulées. Je pense que je voulais surtout convertir un épisode étrange de ma vie (une sorte de mélancolie passagère) en les écrivant. Elles sont devenues un prétexte à autre chose : j’ai convoqué ma mémoire et les mauvaises pensées sont devenues secondaires.Comment prend-on la décision de faire un livre à partir de ces "mauvaises pensées"?Quelques années après cet épisode justement. J’avais le désir de bâtir une sorte de forteresse ouverte à des invités choisis : Hervé Guibert, Eileen Grey , l’Amie, le père architecte de l’Amie, ma famille, M. , le docteur C., la Chanteuse, Le Corbusier, David Lynch : mon univers en somme. J’avais arrêté ma thérapie. C’était une façon de la visiter et de la romancer et finalement de l’inventer, car on invente toujours.
Comment accepte-t-on de se pencher sur ses propres failles, de les livrer ? Sans honte, mais avec pudeur. J’ai été très touchée que mon livre figure dans les conseils de lecture de l’association qui aident les phobiques (les mauvaises pensées étant des phobies d’impulsion). J’ai toujours pensé que chaque évènement, chaque rencontre, chaque rêve, chaque voyage etc. resurgiront des années plus tard dans mes livres. Ma base de travail est toujours réelle. L’écriture est une sorte de filtre, comme on en utilise en photographie.L'idée du roman est-elle venue pendant votre analyse ou l'analyse vous a-t-elle permis d'écrire quelque chose qui sommeillait ?Bien après ma psychanalyse. C’est Garçon Manqué que j’ai écrit pendant ma thérapie, jour après jour, mot pour mot. Je me livrais, je rentrais chez moi et j’écrivais, en y ajoutant un peu de musique, un peu de poésie. C’était tellement difficile à l’époque pour moi, d’assumer mon homosexualité, ma double culture, les traumas de mon enfance. Consulter a été une délivrance et un salut pour mon travail. En m’assumant, j’ai pu écrire les livres qui sommeillaient en moi depuis des années.
Vous dites avoir perdu votre écriture pendent 3 ans, comment l'avez-vous retrouvée ? Est-ce ce livre qui vous l'a rendue ? Non, j’ai perdu mon écriture à l’âge de 25 ans, après Poing Mort. Tout était allé si vite avec la Voyeuse Interdite, sa publication, son succès immédiat, j’étais très jeune et pas toujours très bien entourée. Le personnage de la Chanteuse (dans les MP), m’avait alors conseillé de « changer de métier ». C’est la phrase la plus cruelle que l’on puisse dire à un jeune écrivain. J’ai alors cessé d’écrire pendant trois ans. C’est Jean-Marc Roberts qui m’a redonné la foi. Il m’écrivait une lettre une fois par semaine. Il était une sorte de tuteur littéraire. Les mots sont alors revenus et nous avons publié ensemble le Bal des Murènes, premier volume de la dizaine de romans qui a suivie. Et la lecture aussi. J’ai découvert Hervé Guibert et Violette Leduc. Mes frères d’armes. Mes compagnons de solitude. C’est pour cette raison que je dis souvent que la littérature peut sauver. Eux deux , leurs mots ont été d’une force inouïe pour moi. Je me suis reconnue dans une famille.