Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Selon une idée reçue bien connue, les femmes n’écrivent pas de fantastique ni d’horreur, elles sont trop occupées à faire des coloriages de licornes à paillettes. N’est-ce pas ? Peut-être que Francis Stevens vous dira le contraire, elle qui est l’une des pionnières des littératures de l’imaginaire (si ce n’est celle qui a inventé la dark fantasy), secondée par Poppy Z. Brite*, l’une des écrivaines de fantastique contemporain les plus douées, sombres et poétiques à la fois. Le talent ne se genre pas au masculin, ça serait bien de le rappeler…
La fiole au cerbère. Francis Stevens. Traduction de l’américain par Michel Pagel. Francis Stevens, de son véritable nom Gertrude Barrows Bennett, n’a écrit que quelques romans. L’un qui lance la dark fantasy, un autre qui annonce l’heroic fantasy, et un autre, celui-ci, qui pose les bases de la SF dystopique qui fleurira à partir du milieu du 20e siècle. Précisons qu’elle a écrit tout ça dans les années 1920 avant de s’arrêter brutalement d’écrire… Mais les faits sont là, une femme, invisibilisée, a contribué à construire l’imaginaire contemporain. Dans ce titre, elle nous embarque dans une Pennsylvanie futuriste et totalitaire, où les individus ne sont désignés que par des numéros. Sans se départir de son sens de l’humour et de sa manière très pulp de croquer les personnages, Francis Stevens déploie un style vivant et cinématographique qui ne se dépare pour autant pas d’une certaine poésie dans ses descriptions oniriques. S’il est fort dommage qu’elle soit restée dans l’ombre, il y a tout de même quelque chose de délicieux dans la découverte et la lecture d’une autrice aussi importante. Editions Marie Barbier
Le corps exquis. Poppy Z. Brite. Traduction de l’américain par Jean-Daniel Brèque. Que de souvenirs associés au nom de Poppy Z. Brite ! Un résumé de la fin de mon adolescence, où la littérature gothique et underground me semblait nettement plus attirante que les livres que je devais lire pour le bac puis la fac. La réédition en poche de cette histoire d’amants cannibales gays aurait presque un goût de madeleine de Proust. Entendons-nous bien : c’est l’un des livres les plus violents, brutaux, trash et explicites que j’ai pu lire. Poppy Z. Brite s’illustre par un sens de la description particulièrement vivant, imagé, donc aussi abominable que poétique, selon les moments. Loin de n’être qu’un texte crû, gore et explicite, ce roman dresse un portrait nuancé et dérangeant des serial-killers, comme de certaines de leurs victimes. Poppy Z. Brite appartient à cette catégorie d’écrivain·e·s brillant·e·s qui ont mis leur plume au service de l’underground, le rendant littérairement respectable tout en ne lui enlevant rien de sa violence. Editions Au Diable Vauvert
* NDLR : Poppy Z Brite s’appelle désormais Billy Martin, mais c’est sous son genre féminin que sa carrière nous est connue en France, aussi ai-je conservé cette identité première pour parler de son oeuvre et de la sortie en poche de l’un de ses romans les plus sombres.