Liste de lecture : Nouvelles Noires

Ici, tout es loin d’être tout rose. Ces trois recueils partagent un point commun, et non des moindres : leur noirceur, un certain pessimisme, et une grande maîtrise du genre.

Liste de lecture : Nouvelles Noires

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22/1/2024
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La forme courte, une passion. Quel format se révèle plus adapté à nos rythmes de vies que la nouvelle ? Ici, tout es loin d’être tout rose. Ces trois recueils partagent un point commun, et non des moindres : leur noirceur, un certain pessimisme, et une grande maîtrise du genre. Noir ne signifie pas déprimant, noir ne veut pas dire sinistre, loin de là. Noir peut rimer avec drôle, décalé, inspiré, comme le démontrent ces trois auteurs aux voix très différentes. 


Balalaïka, Nouvelles noires. Richard Palachak

Attention, l’écriture de Richard Palachak ne ressemble à rien de ce que vous avez déjà lu. Ce qui s’en rapprocherait le plus, ce sont ces discussions qui n’ont lieu qu’à une certaine heure de la nuit, après un certain nombre de verres éclusés, avec un certain profil de personnes, que l’on ne croise qu’à une certaine heure de la nuit. Professeur de lettres et chercheur, Richard Palachak est né en Slovaquie, a fait de la boxe et du culturisme. Deux particularités qui se ressentent tout à fait dans son écriture, à l’image de son allure, plus proche de celle d’un artiste underground que d’un prof. Il serait tentant de qualifier son écriture de « brute », au sens de « naturelle », « sans artifices », mais ce serait réducteur. Certes, son écriture est brute, portée par une musicalité et un rythme qui donnent envie d’entendre ses textes lus à haute voix, mais elle est teintée d’une poésie incroyable, d’images d’une candeur et d’une sensibilité que l’on ne prêterait pas forcément à cette ambiance. La critique sociale affleure, quand elle n’est pas balancée telle qu’elle, pointant l’absurdité des mécanismes de notre société, à commencer par ceux d’inclusion que l’auteur semble bien connaître. Tout est loin d’être gai, comme tout est loin d’être sombre dans ces nouvelles baignées de culture slave, comme la majorité de l’oeuvre de Richard Palachak. Editions Black-out


Ciel de réglisse. Marc Villard. 

Grand nom du noir français, Marc Villard possède un talent de nouvelliste comme il est rare d’en croiser en France. Cette manière de croquer les personnages, de les cerner en quelques mots, de les faire advenir dans toute leur dimension avec une certaine économie de descriptions, par exemple. La manière de poser les décors, en quelques mots qui en disent très long. Sans être totalement minimaliste, Marc Villard rappelle parfois Carver, dans la tendresse qu’il laisse deviner pour ces personnages un peu cabossés. Ni losers ni paumés, mais pas très loin, ils se débrouillent, magouillent, et souvent, se prennent des murs en toute beauté, comme ce musicien qui fait affaire avec un caïd local, ou celui qui se fait voler son saxophone par une prostituée chinoise. Ce recueil de deux novellas et six nouvelles est traversé par l’amour de la musique, du jazz et du rock, qu’affectionne l’auteur, traversé par un humour affectueux et un sens de la description exceptionnel. En quelques mots,  Marc Villard plonge ses lecteur·rice·s dans un court-métrage et plus seulement un texte. Il nous emmène avec lui, comme un copain qui nous raconterait des mésaventures qu’on lui a rapportées, des anecdotes sur des gens qu’on pourrait connaître. Ses textes sont des courts-métrages, des peintures, des instantanés, des tranches de vie aux décors parfaitement posés. De très bonnes nouvelles, en résumé. Editions Gallimard


Lendemains qui hantent. Gabriel Berteaud

Etrangeté, absurdité, surréalisme, décalage. Ici, il est clair que les lendemains ne chantent pas, non, ils sont grinçants et un peu flippants, même. Gabriele Bertaud y va au scalpel et à l’acide, aidé d’une pointe d’humour cynique et d’un style infusé au décapant. Autant dire que le monde prend une belle droite sous sa plume, qu’elle penche vers l’anticipation, la dystopie, l’allégorie, oui encore l’utopie. Il n’y a pas d’issue toute tracée dans ces mondes, il y a quelques bulles de beauté, quelques appels à la rébellion, quelques bribes d’amour, un bel appel au libre arbitre et à la critique sociale. Sous un vernis brute, porté par le style cash de l’auteur, se cache une critique profonde du libéralisme, un pied de nez aux paradoxes qui rongent la société de plus en plus vite. Dictature digitale, monde sans électricité, ravages nucléaires, survie… les pires perspectives qui guettent notre société actuelle sont mises en scène pour le pire et le pire dans 9 nouvelles qui n’oublient pas de nous faire sourire. Souvent jaune, mais sourire. Et réfléchir. Editions Antidata

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