Parfois, une interview se transforme. Comme une vague, elle prend une forme inattendue et se déroule dans toute sa subtilité. Parti d’un livre, « Teahupo’o le souffle de la vague », roman noir qui a pour personnage principal la vague la plus dangereuse du monde, l'échange est devenu plongée dans un univers.
Veronique Verbruggen, éditrice de livre d’arts, est retrouvée morte dans les Cévennes. Ni suicide, ni assassinat, ni même accident : seulement l’effet d’une tumeur maligne au cœur. Un coup de dé du destin et voilà joué le sort de cette femme à la fois libre et captive, vivante et étouffée, le cœur divisé entre son mari et son amant. Par une écriture vivante, très descriptive, où l’art occupe presque la place d’un personnage à part entière, Nathalie Skowronek déroule l’histoire d’une femme prisonnière de sa propre liberté.
Une femme amoureuse
Dans les romans, comme dans la vie, il n’est pas rare que les femmes aient le cœur brisé par l’adultère de leur époux, tiraillé entre elles et leurs maîtresses. Ici, Veronique Verbruggen a, elle, le cœur brisé par son propre clivage entre un mari dévoué, qui l’a toujours soutenue, et un amant qui lui apporte tout ce qu’elle ne trouve pas chez son mari. Il n’y a aucun jeu chez cette femme, dont la double vie est à peine cachée, juste drapée de non-dits qui pèsent de tout leur poids sur son entourage et volent en éclats à sa mort. Il y a un peu de la Princesse de Clèves dans cette femme indépendante, forte, et en même temps d’une fragilité extrême, perdue entre les conventions et ses aspirations, entre son histoire et sa vie.
Peut-on aimer au singulier ?
Avec une grande discrétion, sans jamais raconter une autre histoire que celle des proches de cette femme, mari, fille, amant, amies, foudroyés par le chagrin, Nathalie Skowronek soulève une question forte, essentielle dans le domaine amoureux : peut-on réellement n’aimer qu’une seule personne à la fois ? En dehors de tout jugement moral, dans les faits, réels, concrets. Peut-on vivre autrement que dans une certaine forme de solitude, inhérente à notre statut d’être humain ? Car les hommes souffrent autant que les femmes, du moins, les hommes amoureux ou aimants. Sans aucun manichéisme, Nathalie Skowronek dessine une tragédie réaliste où fracas intérieur et questions sans réponses se heurtent avec violence et résignation.
Court et très intense sous sa forme fluide, sa narration en juxtaposition, qui semble suivre le fil de la mémoire, ses évocations poétiques de nature et d’art pictural, ce roman rappelle combien l’amour reste une question d’une infinie complexité. Lauréat belge de l'EUPL 2020, Prix Littéraire de l'Union Européenne, "La carte des regrets" résonne longtemps après sa lecture.
Editions Grasset.