Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Quels sont les rouages de l'édition indépendante ? Les initiatives qui la structurent et permettent de faire connaître ses spécificités dans un paysage dominé par les majors ? Quelles sont les démarches, invisibles aux yeux des lecteur·ice·s, qui coordonnent les maisons d'édition et portent les valeurs du secteur ? Dominique Tourte, président de la Fédération des Editeurs Indépendants, explique la création de cet organisme et ses actions.
Comment et pourquoi est née cette fédération ?
La Fédération des Éditions Indépendantes a vu le jour le 28 mai 2021 à l’occasion d’une assemblée générale constitutive. Huit associations d’éditeurs indépendants de sept régions de France (Bretagne, Pays de la Loire, Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France) posaient là les bases d’une coopération tournée vers la défense des intérêts matériels et moraux des structures éditoriales indépendantes et favorisant leurs échanges professionnels. L’idée même d’un regroupement de ces associations fondatrices au sein d’une Fédération semblait déjà utile avant la crise pandémique ; elle est apparue absolument nécessaire à la faveur, si je puis exprimer les choses ainsi, de cette crise. Si l’économie du livre semble avoir gagné en vitalité depuis 2 ans, il est important de comprendre que cette croissance a principalement profité aux majors de l’édition. Nombre de toute petites maisons d’édition ont disparu, nombre d’autres encore n’ont pu absorber le choc que grâce au soutien des pouvoirs publics. Si la Fédération a bien une tâche essentielle, c’est celle de contribuer à faire exister d’avantage la production des éditeurs indépendants en librairie et aux yeux du public.
Quelles sont ses différentes fonctions, son rôle, ses enjeux ?
Assurer la « défense et illustration » de l’édition indépendante, c’est faire mieux connaître au public les spécificités de celle-ci. C’est aussi peser davantage dans le paysage institutionnel de façon à pouvoir peut-être agir sur des leviers structurels. Je ne prendrai qu’un seul exemple : la loi demandée sur le Tarif Postal Livre. Cela fait des années que les acteurs s’escriment à expliquer combien le tarif d’envoi des livres pèse sur leur économie et demandent une tarification spécifique au livre. En vertu de l’adage « l’union fait la force », espérons que cette union puisse un jour porter ses fruits.
En quoi diffère-t-elle des différentes associations d’éditeurs qui la composent ?
Comme toute structure de ce type, qu’elle soit sportive ou culturelle, notre Fédération a vocation à regrouper des associations disséminées sur le territoire national ; non pour se substituer au travail qu’elles réalisent pour leurs membres comme pour le public, mais pour porter leurs revendications, leurs messages, sur des sujets qui concernent l’ensemble de la profession, plus haut qu’elles ne peuvent le faire à leur échelle. Si notre Fédération n’est pas le syndicat de l’édition indépendante, elle en est peut-être l’un des embryons. Car une chose est certaine : le fossé existant entre l’édition indépendante et les grands groupes ne cesse de se creuser, pour les raisons mécaniques de la logique capitalistique ; et le SNE, syndicat prétendument représentatif de la profession, n’est plus l’organisation syndicale adaptée à la défense des intérêts de la petite et moyenne édition. En témoigne son projet de Festival du Livre de Paris 2022.
D’ailleurs, à quoi sert, pour un éditeur indépendant, une association d’éditeurs à l’échelle régionale ?
Être éditeur.rice, c’est souvent le résultat d’un parcours qui relève moins d’une logique de carrière au sens communément admis que de la décision de vivre pour une passion, le livre. Quiconque ou presque peut décider un jour de devenir éditeur parce que cette passion l’emporte sur le reste. Les chemins pour arriver à ce métier sont multiples, les horizons de départ très variés. Le goût pour l’objet livre depuis le métier de graphiste en est un, le mien en l’occurrence. Et mêmes si depuis quelques années des formations spécifiques existent, celles des IUT Métiers du Livre par exemple, nombre d’éditeur.rice.s indépendant.e.s sont autodidactes. Cela signifie qu’ils débutent sans avoir forcément une connaissance théorique ou pratique très grande. Et c’est là qu’une association régionale peut venir en soutien à leur travail ; en terme notamment de formation, de partage de connaissance et de solidarité qui rendent l’éditeur.rice un peu moins seul. Le rôle d’une association régionale est aussi de consolider un tissu sur un territoire et de devenir un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics pour mieux accompagner et promouvoir le travail de ses membres. Les institutions régionales sont très soucieuses de la vitalité de la création éditoriale à l’échelle de leur territoire et voient avec intérêt le travail d’une association qui, très en prise avec le terrain, constitue le relai nécessaire de leurs politiques du livre.
Quels sont les chantiers en cours de la Fédération et ses priorités dans les mois à venir ?
La priorité de la Fédération pour l’année 2022 est de continuer à fédérer. C’est un pléonasme mais c’est en s’accroissant qu’elle se donnera davantage de chances de parvenir à ses fins : mettre un visage sur l’édition indépendante et faire entendre sa voix. Avec 270 membres à ce jour, elle ne représente peut-être qu’à peine plus d’un 10e de l’ensemble des maisons du territoire national. Comment parvenir à cela ? Certainement en encourageant la création d’associations sur des territoires où elles n’existent pas. Ce travail est en marche. En incitant aussi à adhérer des associations existantes sur des champs éditoriaux précis, la photographie par exemple. De toutes parts, des messages de sympathie nous parviennent disant la nécessité du travail que nous menons. C’est un signe.
Concernant les chantiers en cours, le plus emblématique est la création des 1ères Assises nationales de l’édition indépendante. Celles-ci auront lieu à Aix-en-Provence début 2023. Elles seront l’occasion d’un état des lieux de l’édition indépendante et créeront sur les sujets cruciaux de notre métier la fenêtre médiatique qu’il nous manque aujourd’hui. Avec la modestie nécessaire notre modèle est celui des Rencontre Nationales de la Librairie qui se tiennent bisannuellement dans une grosse ville de France.
De quelle manière ces actions bénéficient-elles aux livres, donc aux lecteurs et lectrices au final ?
Considérez une mare, avec ses grenouilles, tritons, vairons, goujons, ablettes, gardons… c’est un écosystème très riche caractérisé par une grande biodiversité et surtout un équilibre ; placez-y un brochet, revenez quelques semaines après. Le brochet aura grossi quand les espèces que je viens de citer auront disparu. C’est une image bien sûr mais si cet écosystème n’est pas géré raisonnablement, il s’appauvrit en diversité et se déséquilibre. « C'est ce qui se passe dans le domaine du livre, où on peut s'inquiéter de ce que l'emprise d'une édition un peu facile, un peu rapide, qui occupe les présentoirs dans les supermarchés, qui occupe surtout les tables des libraires, prenne le pas sur d'autres propositions qui sont plus difficiles à promouvoir » explique Françoise Benhamou, une des théoricienne du concept de bibliodiversité.
La bibliodiversité est aujourd’hui menacée par la surproduction et la concentration financière du monde de l’édition, qui favorisent la domination de quelques grands groupes éditoriaux et la quête de rentabilités élevées. Lorsque l'exigence de rentabilité croît, la tentation de réformer la ligne éditoriale en conséquence se renforce.
Si l’on considère qu’un des indicateurs de la santé du livre est la diversité de la production éditoriale ; si l’on veut qu’à côté des livres que le public peut trouver aussi bien dans un relai presse de gare que dans un rayon livre d’hypermarché, nos librairies puissent continuer à offrir au lecteur une production éditoriale moins formatée, plus audacieuse, plus créative, alors je réponds à votre question.