Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Jeune, toute jeune maison d'édition basée à Marseille, ville en connexion avec le monde, s'il en est, "Le Bruit du Monde" entend se faire l'écho d'une littérature contemporaine en mouvement. Ancrée dans le réel, dans des valeurs fortes et porteuses, la maison fondée par le binôme Marie-Pierre Gracedieu et Adrien Servières déploie une ligne éditoriale en prise avec les mouvements et les voix de notre époque. Rencontre.
Comment est née cette maison d’édition ? Pourquoi ce nom ?
Comme souvent dans nos métiers, les idées naissent de rencontres, et c’est en rencontrant Jean Spiri (secrétaire général d’Editis) que tout a commencé. L’idée d’une collaboration a rapidement débouché sur celle d’une création de maison d’édition, puis est venue celle de la créer à deux. Mais il manquait encore une des pierres angulaires de ce projet : Marseille. Nous connaissons très bien cette ville pour y venir dès que possible depuis une vingtaine d’années et au cours d’un week-end, en prenant un café sur le Vieux-Port, l’idée est née de créer cette maison ici. Nous savions que nous voulions une maison ouverte sur le monde et quelle meilleure caisse de résonnance que Marseille pour accueillir les « bruits du monde », une ville portuaire, où l’on arrive et d’où l’on part, une ville bouillonnante, solaire et… bruyante ! Le bruit du monde, c’est une déclaration d’intention, la promesse d’un catalogue qui sera le réceptacle des bruits et des voix du monde entier.
Chaque grande enveloppe dans notre boite à lettres est potentiellement un livre.
Comment avez-vous défini votre ligne éditoriale ?
Il est toujours difficile de dire si c’est le choix des livres qui fait la ligne éditoriale ou bien la ligne éditoriale qui fait que l’on décide de publier tel texte plutôt qu’un autre, c’est probablement un peu les deux. Comme on le disait : une maison ouverte sur monde, le lointain bien sûr, mais le monde commence en bas de chez soi ou au coin de la rue. Notre souhait est de trouver des histoires qui nous permettent de découvrir des territoires inconnus mais aussi d’appréhender la complexité de ce qui nous semble familier. Nous sommes très fiers de nos premiers livres, ils donnent parfaitement le ton.
Qui sont les auteurs et autrices que vous allez éditer ?
Nous publierons neuf titres en 2022, ce qui est ambitieux pour une première année. Des traductions du néerlandais, de l’américain, de l’anglais, du danois, du bosnien mais aussi des textes écrits en français. Nous commencerons avec Hanna Bervoets, autrice néerlandaise dont le roman, Les choses que nous avons vues, raconte le quotidien des modérateurs de contenus, les nettoyeurs du web. Un texte très vif et nerveux qui décrit à travers cet angle ce qu’est aujourd’hui la norme, comment elle évolue et comment nous évoluons avec elle. Ce qui est fou dans ce livre c’est qu’il s’agit bel et bien d’un roman, avec des intrigues, des personnages attachants ou détestables, mais qu’une fois le livre fermé on se pose beaucoup de questions sur le monde dans lequel on vit. C’est très « Bruit du monde ». Nous aurons également un texte traduit de l’américain écrit par Alice Kaplan. Bien connue pour ces récits historiques, Alice nous a confiés son premier roman qui nous plonge dans l’histoire des Juifs d’Algérie, et plus précisément de ceux qui y sont restés, envers et contre tout, malgré les soubresauts de l’histoire. En lisant Maison Atlas, on a vraiment le sentiment que la fiction est la meilleure des leçons d’histoire. Notre premier titre français arrivera en avril, il s’agit de De notre monde emporté de Christian Astolfi. Il y est question de la fin des Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. A travers une galerie de personnages magnifiques, l’auteur s’attache à raconter le monde du travail, l’amour des ouvriers pour le labeur bien fait. Mais c’est aussi une chronique de la désindustrialisation française, un livre éminemment politique avec pour toile de fond le scandale de l’amiante. Et une histoire d’amour, évidemment… Ce qui nous est raconté, c’est la fin d’un monde à laquelle nous avons assistés, un monde emporté. D’Amsterdam à Alger en passant par la désindustrialisation du pays, puis plus tard dans l’année Sarajevo, les vignobles français, le Mexique, le Danemark et Les Comores, pour l’instant la promesse est tenue, non ?
Nous voulions une maison dont les portes seraient ouvertes
Comment abordez-vous les manuscrits, qu’ils soient français ou étrangers ?
Avec discipline d’abord ! Parce qu’on en reçoit déjà beaucoup plus qu’on ne peut en lire, il s’agit donc d’être parfaitement organisés si l’on ne veut pas être complètement noyés. Ensuite, on lit tout, l’auteur nous montre une marque de confiance très forte en envoyant son texte, la moindre des choses et donc de lire et de répondre. On ne peut pas le faire aussi vite qu’on le voudrait, notre temps n’est pas extensible malheureusement. Quoi qu’il en soit, ouvrir une enveloppe, c’est un espoir ! L’espoir d’y rencontrer un texte qui va nous émouvoir, nous faire rire ou nous embarquer dans un univers. Car bien souvent, on rencontre le texte avant de rencontrer l’auteur. Chaque grande enveloppe dans notre boite à lettres est potentiellement un livre. Tant que nous avons cette flamme et cet espoir, c’est que nous pouvons continuer à faire ce métier !
Vous allez organiser des ateliers d’écriture, comment vont-ils être structurés ?
L’idée des stages d’écriture est née presque en même temps que celle de la maison. Nous voulions une maison dont les portes seraient ouvertes, qui serait un véritable lieu de rencontres, d’échanges et d’idées. Les stages contribuent à cela, nous l’avons déjà constaté. C’est un moyen pour nous de faire des rencontres que nous n’aurions pas faites sans cela, et ça a déjà fonctionné avec les premiers participants. Vous l’avez compris, on ne manque pas de manuscrits, donc même si on l’exclut pas, on ne cherche pas forcément des auteurs à publier parmi les participants, mais chacun d’entre eux arrive avec son histoire, ses histoires et on passe pas mal de temps avec eux en dehors des « temps travaillés ». Encore une fois, beaucoup de choses naissent des rencontres, celles-ci en font partie. Et puis c’est aussi l’occasion d’accueillir à Marseille des auteurs que nous admirons et qui viennent animer ces ateliers. Le programme du premier semestre est quand même très alléchant : Minh Tran Huy, Denis Michelis, Véronique Ovaldé, Alice Ferney, Agnès Desarthe, Carole Martinez…
De façon pratique, les stages » s’organisent autour de temps assez courts : une semaine ou un week-end, ce sont des moments intenses pour les participants. Ils travaillent en général une douzaine d’heures par groupe de six à huit et tout cela se passe dans nos murs. C’est aussi l’occasion pour eux de rencontrer l’équipe de la maison et comprendre mieux comment nous fonctionnons.
Quelles sont les maisons d’édition, françaises ou étrangères, que vous aimez, qui vous inspirent ?
C’est une question difficile car quand on crée sa maison d’édition, on veut innover et essayer de devenir une référence. On essaie de ne pas trop s’inspirer de ce que font les autres, de ne pas les copier en tout cas. Maintenant, il est clair aussi qu’on ne peut tout inventer et on s’inspire forcément de ce qui existe, même malgré soi. Ce que fait Laure Leroy avec Zulma est vraiment admirable. L’inventivité des maisons de taille moyenne est incroyable en France et à l’étranger, c’est très stimulant. L’agilité que conservent ces maisons est vraiment intéressante, c’est aussi ce qui nous a poussés à créer Le bruit du monde. En Italie, l’éditeur E/O ne s’est pas contenté de devenir un éditeur renommé dans son pays, il a créé une maison aux Etats-Unis pour publier Elena Ferrante et en a fait un succès Outre-Atlantique. Si on sort de nos frontières, il est très intéressant de constater que les structures de taille moyenne fleurissent un peu partout en Europe, et beaucoup naissent en dehors des grandes capitales dans les lesquelles on les attendait.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier d’éditeur ?
Ce qui est passionnant dans le fait de créer une maison de cette taille, c’est que tout le monde a plus ou moins accès à tout. Bien sûr, chacun a ses missions propres : éditorial, commercial, presse, etc. mais les échanges sont beaucoup plus faciles. Une bonne idée commerciale peut naître à l’édito, le commercial peut alerter sur projet intéressant et être amener à présenter un auteur à l’éditorial. Ça, c’est incontestablement un plus, ça implique une sorte de dépassement de fonction permanent, mais c’est passionnant. Entre le moment où l’éditeur choisit de publier un manuscrit et le moment ou le livre se vend en librairie, il y a un nombre d’étapes incroyable et on sait que si on en rate une seule, le livre ne fonctionnera pas. Avoir accès à toutes ces étapes est certes un peu vertigineux mais c’est vraiment exaltant.