Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
"Sexpowerment", le nouveau livre de Camille Emmanuelle est arrivé avec un air de printemps, de bonne humeur et d'intelligence, cette intelligence qui pousse à la réflexion. Logique il était de donner la parole à la principale intéressée autour de questions qui nous trottaient dans la tête à la lecture de son essai, où il est question de sexe, certes. D'amour, de politique, de féminité, d'identité, de désir, aussi. Surtout.
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©thepaulgreen.com[/caption]
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre comme Sexpowerment ?
Depuis quinze ans je lis des ouvrages sur les questions de sexualité, de genre et féminisme. Depuis plus de six ans je fais des reportages sur la culture érotique, la culture porn, et les sexualités. Depuis plus longtemps (haha) j'ai une vie sexuelle et affective. J'ai voulu avec Sexpowerment "compiler" ces trois expériences, intellectuelles, journalistiques et personnelles, pour défendre une idée: une nouvelle révolution sexuelle est en cours, dans notre société. Mais elle ne pourra aboutir que si on défend un discours libéré des injonctions sociétales sur le corps, le sexe, les hommes et les femmes.
J'ai mis des années à me débarrasser des fausses idées sur le corps, le sexe, le plaisir féminin, et le désir
Si on recommandait la lecture de votre livre aux grands ados et jeunes adultes en pleine découverte de la vie sexuelle, qu’en penseriez-vous ?
Ah mais je vote pour! Une amie m'a confié récemment que son grand-père de 91 ans lisait mon livre: il l'avait trouvé sur la table basse de sa petite fille et était totalement plongé dedans. J'ai trouvé ça super. Mais c'est vrai que si je peux toucher les 15-25 ans, c'est encore mieux, car dans ce livre je raconte un parcours. Un parcours à la fois intellectuel et sexuel, de mes 15 à 35 ans. J'ai mis des années à me débarrasser des fausses idées sur le corps, le sexe, le plaisir féminin, et le désir: si je peux faire gagner du temps à certains et certaines, c'est chouette. Pas pour qu'ils fassent la même chose que moi, mais pour qu'ils gagnent leur liberté sexuelle, pour qu'ils trouvent leur façon à eux d'être féminin/masculin/entre les deux, et enfin pour qu'ils jouissent sans entraves.
Il n'y a pas "une Femme"
Que pensez-vous de tous ces débat autour de la notion de féminisme ? Les différents courants, intérêts, combats ? Ne pensez-vous pas qu’à force, ça finit par affaiblir un peu la question centrale de la Femme ?
C'est plutôt un bon signe, ces différents courants féministes. Il n'y a pas "une Femme", il n'y a pas un féminisme. Quand j'avais 18 ans, LA féministe, dans les médias français, à la télé, c'était Isabelle Alonso. Et c'est tout. Je n'ai rien contre elle, mais je ne me reconnaissais pas du tout dans son discours. J'ai dû aller chercher des livres et des blogs issus du "féminisme sex-positif" nord américain pour nourrir ma pensée. Aujourd'hui en effet la pensée semble atomisée, mais ce n'est pas tout à fait le cas. Les féministes sont globalement toutes d'accord sur la plupart des sujets: l'accès à la contraception et à l'IVG, l'égalité salariale, l'accès aux postes de pouvoir, etc. On se divise sur trois sujets: le voile, la prostitution, et la GPA.
je suis une militante de canapé
Vous dites dans votre livre qu’il y a du progrès, des avancées au niveau de la représentation de soi, de la projection, du corps, des identités etc, vous le constatez ? Ne pensez-vous pas qu’on est encore très prisonniers de siècles de bien pensance, de morale judéo-chrétienne et de tabous ?
Je suis une optimiste vigilante. Comme j'ai tendance à voir le verre à moitié plein, je constate qu'il y a de plus en plus de magazines de presse féminine qui mettent en avant d'autres corps, d'autres beautés (même si leur modèle "plus size" fait en fait du 42...), il y a de plus en plus de sites et de blogs qui apportent un autre regard sur les sexualités, qu'elles soient hétéro ou LGBT. Enfin dans la culture mainstream, dans les séries par exemple, il y a un discours moins normé sur la féminité ou la masculinité.
Mais je ne suis pas naïve, et en effet nous sommes les héritiers de siècles de pudibonderie et de discours liberticides, particulièrement envers les femmes et leur plaisir. Et les discours réactionnaires et paranoïaques ressurgissent en temps de crise. La France a beau être le pays de Sade et d'Appolinaire, c'est aussi le pays de Zemmour et de la Manif pour Tous...
Le sexe est politique, plus ou moins gaiement, d’ailleurs. Si vous créiez un parti politique, il ressemblerait à quoi, en regard de votre parcours personnel et sexuel à vous ?
Comme je l'écris dans mon livre, je suis une militante de canapé. Dans le sens où je ne fais partie d'aucune association. J'aurais du mal à créer une association ou un parti, car la "pensée-slogan" me rebute, et le militantisme empêche souvent le développement d'un discours nuancé, et basé sur la réalité.
Mais si vraiment je dois devenir femme politique, alors il y aurait dans mes meetings des shows new-burlesques, et des shows drag queens et drags kings. Je me sens proche d'Emma Goldman, militante féministe et anarchiste de la fin du 19ème siècle, qui affirmait : « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution». Un soir, alors qu’elle danse au milieu de ses compagnons d’armes, ceux-ci la blâment pour cette légèreté insultante au sérieux de la Cause. « Selon moi, une cause qui défendait un si bel idéal, qui luttait pour l’anarchie, la libération et la liberté, contre les idées reçues et les préjugés, une telle cause ne pouvait exiger que l’on renonce à la vie et à la joie ».
Vous posez cette question à la gérante d’une sympathique boutique de lingerie et sextoys (Dollhouse pour ne pas la citer) : c’est quoi pour vous être une femme libre aujourd’hui ?
C'est s'inspirer des femmes libres que j'ai eu la chance de rencontrer: une femme entrepreneur qui brise le plafond de verre dans son domaine, une pute fière de son activité, une militante qui a créé une maison de retraite pour les personnes âgées lesbiennes, une chercheuse en nanotechnologie, une sportive de haute voltige à la musculature masculine, une strip teaseuse burlesque d’1m52, une mère au foyer qui créé sa micro-entreprise, une DJette qui impose son style dans un univers masculin, une grande intellectuelle bourgeoise de 85 an, une danseuse de twerk qui élève seule ses enfants, une reporter de guerre, une actrice porno bloggeuse, etc.
Attention je vais sortir une phrase pompeuse: être libre, c'est être fidèle à ses valeurs tout en acceptant d'être dans le doute, et d'être toujours curieuse des autres.
Sexpowerment (chroniqué ici)