[INTERVIEW] Kim Zupan : l'Arpenteur

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[INTERVIEW] Kim Zupan : l'Arpenteur

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6/5/2015
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C'est le genre de livre qu'on a du mal à finir. Tellement puissant et bien écrit qu'on se demande de quelle époque sort son auteur. Quand on découvre un modeste américain de l'Arkansas, on reste un peu perplexe. Donc il existe, en 2015, quelqu'un capable de mélanger les styles littéraires avec une élégance et une finesse dont Faulkner serait fier ? Passer du naturalisme au noir, à la littérature des grands espaces et au roman d'apprentissage sans tirer des ficelles de manuels de classes ? Peut-être que Kim Zupan possède un talent rare : celui d'écrire pour écrire. Kim Zupan est un immense écrivain. Vivant!

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Comment avez-vous commencé à écrire ? Quand ? Pourquoi

Mes parents étaient tous deux des lecteurs et il y avait des livres partout à la maison. On attendait de nous que nous lisions, et j’aimais ça, ce n’était pas une corvée. Je suis devenu fasciné par les mots et les interactions entre les mots. Enfant, je collectionnais les mots étranges et les amassais comme des pierres précieuses ou des joyaux. Après avoir lu les livres labellisé « pour garçons » comme Tarzan, The Hardy Boys, H. Ryder Hagard, et plus tard, Poe, j’ai découvert que je voulais raconter mes propres histoires et influer sur la vie des gens de la même manière que ces livres avaient influé sur la mienne. Tout écrivain devrait posséder un égo suffisamment dimensionné pour que ses histoires valent quelque chose et peuvent, dans les faits, agiter quelque chose dans l’âme du lecteur. J’essaie de faire ça ; j’espère que j’y arrive.

Quelle a été votre inspiration pour cette histoire ?

Un de mes très vieux et bons amis, qui a récemment pris sa retraite en tant que senior agent spécial d’une agence gouvernementale , a été shérif adjoint plus tôt dans sa carrière. Nous avons souvent parlé tard dans la nuit, plein de gin, échangeant des histoires et des mensonges. Il aimait parler de son travail et c’était génial. Un de ses boulots était de chercher des gens disparus avec son chien, et pendant son mandat au bureau du shérif, il a surveillé un vieux criminel professionnel dans l’attente de son procès. Le matériau a tourné dans ma tête pendant que j’écrivais d’autres choses et il est venu à la vie sous le nom de Les Arpenteurs. D’une certaine manière, l’histoire demandait à sortir. Il me semblait bien que je n’avais pas voix au chapitre.

De quels courants littéraires vous sentez-vous proche ?

Oh bon sang, je ne suis même pas sûr de connaitre les courants littéraires à la mode! Je ne prête vraiment pas attention aux tendances, mouvements ou genres. Peut-être devrais-je, je ne sais pas. J’ai entendu lire qu’on qualifiait Les Arpenteurs de naturaliste, de littérature sale ou de « grit lit ». (NDT : terme désignant une littérature abrupte, mêlant humour et violence, très sudistes). Ou même comme un roman policier ou à suspense. (Je présume que le livre a la trame d’un policier de la même façon que Moby Dick est une histoire sur la pêche. C’est à dire : pas du tout.) C’est juste une histoire et j’ai essayé de décrire avec précision les interactions entre les personnages, et de décrire avec précision la campagne où ils habitent. Je ne sais pas quel est ce courant littéraire.

Avez-vous prévu d’écrire d’autres livres ?

Je suis dans les affres d’un nouveau livre en ce moment et je suis très impatient. Par chance et Dieu merci - je suis atrocement lent - j’aurais achevé un brouillon à la fin de l’été. Dès que je quitte la France pour rentrer chez moi, je mets la main à la pâte.

Vous définiriez-vous comme un charpentier, un écrivain ou les deux ? Quel est le métier que vous préférez ?

Je me suis toujours considéré comme un écrivain. La charpenterie (ou la pêche au saumon ou le travail de ranch), ce sont des choses que j’ai faites pour soutenir ma famille et m’acheter du temps d’écriture. Je dois beaucoup à la charpenterie. C’est un beau et noble métier, et je m’y suis découvert plutôt bon, alors les moutons étaient bien gardés . Mais jamais, quand je me suis regardé dans le miroir, je n’ai vu un charpentier. Je voyais un écrivain - inconnu, peu publié, travaillant dans le vide - mais néanmoins un écrivain. Je suis un écrivain qui fait de la charpenterie, pas un charpentier qui écrit. La distinction, même ténue, a été essentielle à ma santé mentale pendant des années.

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Les Arpenteurs de Kim Zupan. Editions Gallmeister.ndlr : Kim Zupan sera en France mi-mai, dans le cadre du Festival Etonnants Voyageurs. Check it out!

Petit extrait

Prologue

À L’AUTOMNE de cette année-là, le garçon descendit du bus au bout de la route sèche, la haie de buissons vrombissant du crissement des sauterelles affolées qui bondissaient à son passage depuis les hautes herbes et le feuillage pâle et pous- siéreux des oliviers de Bohême, se heurtaient à son pantalon et se précipitaient contre les pans de sa chemise. Une fois par mois, on leur permettait de quitter l’école plus tôt et on les encourageait à mettre ce temps libre au profit des œuvres de charité. Val était un garçon sérieux. Tandis qu’il faisait passer ses livres d’une main à l’autre en avançant vers la maison au loin, il entreprit d’établir une liste : rendre visite aux malades, vêtir ceux qui sont nus, ensevelir les morts. Quoi d’autre ? Les vaches noires du voisin baissaient les yeux vers lui depuis le promontoire, leurs silhouettes ondulant et flottant étrangement dans la brume de chaleur. Visiter les prisonniers, voilà encore autre chose. Donner à boire aux assoiffés. À l’ouest, au pied du promontoire, il apercevait son père sur le Minneapolis-Moline qui décrivait des cercles au milieu du champ des Schmidt dans un nuage de poussière.L’ÉCRITURE de sa mère était faite de boucles splendides, per- fectionnées sous la menace et les cannes agitées de ces mêmes sœurs de la Providence intimidantes qui enseignaient aujour- d’hui à Val, cette écriture dessinée sur les petits mots qu’elle lui laissait avec son déjeuner de l’école, sur les marges d’une carte d’anniversaire ou, plus rarement, lorsqu’elle et son père sortaient, cette écriture qui accompagnait sur son oreiller les trésors qu’il amassait. Sa mère mettait un grand soin à la réalisation des pleins et des déliés de ses lettres, comme si ses mots sculptés dans la frise d’un temple devaient y vivre un millier d’années. Ce jour de septembre, le mot avait été déposé à la verticale entre la salière et la poivrière en forme de cochons souriants. “Mon chéri. Viens seul dans la remise.”

Il se rendit dans la chambre de sa sœur cadette, où elle dormait sous ses draps froissés, le pouce dans la bouche. Il prit une pomme dans la corbeille à fruits près de l’évier et la mangea, debout près de l’îlot de cuisine. Par la fenêtre, au-delà du terrain rocailleux, il distinguait la porte ouverte de la remise. Une hirondelle se posa sur l’unique lampadaire du jardin, gazouilla et s’envola. Il la regarda s’éloigner. D’ici un mois, elle repartirait.Dans le jardin, la poussière se souleva sous ses pieds, la journée était éclatante. En ville, ses amis jouaient à chat sur les boulevards verts, mais sa place à lui, il le savait, était ici. La porte de la remise grinçait en battant lentement sur ses gonds, et à l’intérieur, il ne voyait que l’obscurité. À des kilomètres d’altitude, un nuage solitaire dans le firmament brillant traînait son ombre sur le sol. Sa mère se serait arrêtée un instant pour le regarder passer.Des années durant, ils avaient élevé des poules dans la grange à structure métallique, une entreprise qui n’était qu’une bataille perdue d’avance, disait-elle, car celles qui ne mouraient pas de froid étaient victimes des renards ou des moufettes, et si elle devait œuvrer à nourrir tous les prédateurs de la région, autant aller acheter de la nourriture pour chien et ne plus en parler. Les poules avaient disparu depuis longtemps, mais, quand le vent soufflait et faisait trembler le bâtiment, des plumes tombaient encore des pannes de la charpente ou des poutres tout en haut, qu’on distinguait dans l’obscurité. À présent, alors qu’il se tenait à l’intérieur, les bras étreignant un poteau rugueux, un de ces flocons crasseux tomba en une trajectoire aléatoire et il aperçut dans le noir au-dessus de lui la corde, enroulée deux fois et attachée.

Plus tard, il se souviendrait de l’odeur des poules, il les imaginerait pencher leurs têtes scabreuses dans les recoins sombres et gratter le gravier de leurs horribles pattes. Il se souviendrait de ça et de la main de sa mère quand il l’avait enfin touchée, semblable au bois du poteau qu’il agrippait si fermement, observant dans l’intérieur poussiéreux et confiné le lent, lent balancement de ce corps semblable à un métronome.Il remit en place l’échelle à l’endroit où elle était tombée, gravit les barreaux comme elle l’avait fait et scia longuement la corde avec son canif. D’une bâche constellée de taches, il recouvrit le corps à l’endroit où il était tombé, faisant jaillir des plis la poussière pareille à un farfadet dans l’air étouffant, et il lui toucha la jambe une fois pour s’assurer qu’elle était rigide, qu’elle n’était plus sa mère mais autre chose, abandonnée à sa place.

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