Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
« Quel rapport entre la lecture et le jeu de rôle ? Entre des lancers de dés et l’écriture ? », vous demandez-vous peut-être. Si vous jouez déjà, vous connaissez la réponse. Si vous ne jouez pas, vous serez surpris·e de découvrir la richesse narrative et créative de ces jeux auxquels l’on joue en groupe ou en solo. Les passerelles entre la littérature et ces univers sont multiples, et bien souvent, leurs créateurs s’inspirent de textes phare d’un genre ou d’un autre quand ils ne remplissent pas le rôle d’écrivains par la richesse de leur création. Quand au jeu de rôle solo, il permet d’écrire une histoire très personnelle, proche de l’expérience d’écriture créative. Pour plonger dans ces nuances et univers, rencontre avec Christophe Dénouveaux, alias La Loutre Rôliste, éditeur (indépendant) de jeux de rôles. Pour le lien entre les loutres et le jeu de rôle, par contre… le mystère demeure entier !
Le jeu de rôle ne serait-il pas une manière moderne d’inventer et raconter des histoires, finalement ?
Le jeu de rôle tel que nous le pratiquons aujourd’hui a plus de 50 ans et n’a de cesse d’évoluer pour s’adapter aux tendances ludiques des différentes générations qui le pratiquent. Dans un sens, oui, c’est bel et bien une manière moderne d’inventer, de raconter, mais aussi de vivre des histoires. Des histoires partagées car le jeu de rôle, qu’il se joue classiquement en groupe, avec ou sans meneur de jeu ou encore en solo, est un vecteur de lien social, un médium interactif permettant la rencontre, le partage et la collaboration autour d’une histoire et de créer un vécu imaginaire commun, même si en pratique, une même histoire est vécue différemment dans l’esprit de chaque participant(e). Le jeu de rôle est un théâtre autour d’une table (ou autre lieu !), un jeu qui permet de devenir les héros et les héroïnes le temps d’une histoire, d’une aventure, de manière proactive. De plus, le jeu de rôle permet de révéler beaucoup de choses en nous, de nous décentrer et de nous libérer des tracas de la vie quotidienne ! Contrairement à un roman, un film, une série ou tout autre médium culturel où l’on vit des aventures et des histoires par procuration, de manière passive, le jeu de rôle permet de vivre les choses activement ! Vous rêvez de parcourir un univers qui vous tient à cœur ? Vous aimeriez faire autrement que le héros de votre livre préféré (entre nous, il fait n’importe quoi, hein) ? Le jeu de rôle est fait pour vous ! Vous aimez raconter des histoires ? Devenez meneur/meneuse de jeu ! Vous préférez interpréter un personnage ? Soyez joueur/joueuse ! Vous aimez les deux ? Aucun problème !
Quels sont les jeux de rôle les plus littéraires, à vos yeux ? Qu’est-ce qui leur confère cette aura ?
Je vais peut-être sembler botter en touche, mais si l’on excepte les parties des livres de jeu de rôle dédiées aux règles, les parties dédiées à l’univers d’un jeu de rôle sont dans leur grande majorité d’un niveau littéraire allant de bon à excellent. Si l’écriture de l’auteur apporte du rêve, de l’imaginaire, donne des idées d’aventure et titille votre esprit, alors on est dans de la bonne littérature, comme un bon roman. Si je devais en citer un, ce serait La Porte d’Ishtar, dont les descriptions sont à couper le souffle et vous transportent, vous faisant ressentir les sensations, les senteurs et la vie de cet univers. Son auteur Rodrigo Garcia Carmona (Other Selves) est pour moi un maître dans l’écriture de jeu de rôle et encore plus quand il s’agit de la description de l’univers de jeu. Il y a aussi Chroniques d’Un Vampire Millénaire dont la qualité des textes qui a été l’un des éléments de mon choix pour ce jeu, en plus du concept novateur de ce jeu de rôle solo.
Vous avez, entre autres, édité en français « Chroniques d’un Vampire Millénaire », qui est à mi-chemin entre le jeu de rôle et l’atelier d’écriture, existe-t-il beaucoup de formats de ce type ?
Le jeu de rôle que l’on catégorise comme « solo » se développe depuis les dernières années aux États-Unis. La sombre période du COVID a fait que les groupes de jeux de rôle ne pouvaient se réunir et même s’il y a eu un très fort développement du jeu de rôle en distanciel, cela n’a pas convenu à tout le monde. C’est une période où nombre de créateurs, créatrices et artistes ont profité de leur temps de confinement pour développer de fantastiques projets, dont les jeux de rôle solo. Donc oui, il existe un certain nombre de jeux de rôle solo, avec des systèmes de règles différents. Ce type de jeux de rôle solo sont de plus en plus nombreux et sont les créations de ce qu’on appelle dans le milieu les « indés ». Principalement, il y a le système « Oracle » qui permet de créer et d’avancer dans le jeu via des tables d’événements et des jets de dés afin de pouvoir ensuite écrire son histoire. Le système développé par Tim Hutchings pour Thousand Year Old Vampire (VO de Chroniques d’un Vampire Millénaire) est quant à lui bien différent. Nous sommes dans le registre du « Journaling Game » ou « Jeu de journal Intime ». Ici, pas de tables, mais des Amorces (textes descriptifs) qui posent des situations pour lesquelles vous devez répondre en écrivant soit quelques lignes soit un texte plus travaillé, mais aussi opérer des changements sur vos Compétences et vos Ressources. Chaque Amorce comporte trois entrées. Quand on revient sur une Amorce et que l’une a déjà été faite, on passe à la seconde, voire à la troisième. Le déplacement entre les Amorces se fait simplement en lançant un d10 duquel on soustrait le résultat d’un d6, permettant donc d’avancer ou de reculer. Ainsi, on crée un véritable journal intime que l’on peut relire. Mais attention, on peut recommencer autant que l’on veut le jeu avec les Amorces de base créées par l’auteur et même varier grâce à toutes celles écrites par des auteurs et autrices invitées par celui-ci, basées sur différents thèmes et qui donnent des saveurs très variées aux chroniques qui en résulteront. De plus, vous pouvez jouer à votre rythme, allant de tout d’un coup à un peu chaque jour, comme un rituel quotidien. Chroniques d’Un Vampire Millénaire convient parfaitement aux ateliers d’écriture du fait de son aspect de journal intime et le fait que l’on peut étaler la rédaction des chroniques sur plusieurs séances. Au passage, Chroniques d’un Vampire Millénaire n’est plus le seul à utiliser ce système (avec autorisation de son auteur) et La Loutre Rôliste est déjà sur le coup ! Quelle divinité serez-vous ?...
Qu’est-ce qui vous pousse à traduire certains jeux plus que d’autres ? Quel est le déclencheur chez vous ?
Premièrement, le coup de cœur. Il faut que cela parle à la fois à mon cœur et à mon esprit, me donne du rêve. Après, je réfléchis à la portée (public visé, ventes potentielles, éléments essentiels de communication pour transmettre l’esprit du jeu et d’autres paramètres éditoriaux). Certains vont me dire qu’il faut de gros titres commerciaux, de grosses licences, mais ce n’est pas ce qui guide La Loutre Rôliste. Le milieu de l’édition est connu pour être compliqué, celui du jeu de rôle l’est encore plus. Parfois, à contrecœur, il me faut renoncer à de petites pépites, mais ce n’est pas grave, parfois il faut juste attendre un peu et y revenir ! Parmi les jeux que nous traduisons et éditons, il y a par exemple les jeux de rôle pour les enfants et la famille : Petits Détectives des Monstres, Incroyables Détectives de Monstres et P’tits Pirates. Nous les avons choisis, car étant parents nous-mêmes et professeurs des écoles pendant plus de 10 ans, nous trouvions que ce type de jeu de rôle manquait dans le paysage éditorial français et ces trois titres connaissent effectivement un très grand succès. Ils sont devenus l’une de nos principales marques de fabrique de La Loutre Rôliste. Nous avons aussi été ravis de voir qu’il existait le jeu de rôle Blacksad, car nous sommes de grands fans de la bande dessinée. Ce fut d’ailleurs le premier jeu de rôle que nous avons traduit et édité. Pour nos autres jeux, la sélection s’est, elle aussi, réalisée sur des coups de cœur !
Quels sont vos jeux de rôle, solo ou multi, préférés, pourquoi ?
Tous les jeux que j’édite et que je vais éditer, mais pas que ! Joueur de livres dont vous êtes le héros depuis 1987, j’ai une collection de plus de 150 ouvrages d’époque (dont des collectors). Je les rejoue de temps à autre et j’en tire des idées pour mes parties de jeu de rôle privées. Concernant le jeu de rôle, je le pratique depuis 1989 et j’ai, bien entendu, mes préférés : Star Wars, Warhammer, Vampire – La Mascarade, Ambre, L’Appel de Cthulhu, Hawkmoon, Les Royaumes d’Acier, Eberron, Rêve de Dragon, Berlin XVIII et tant d’autres ! À cela, je peux ajouter tous les jeux de rôle solo qui sortent régulièrement et que nous suivons avec un très grand intérêt, vous vous en doutez bien ! Pour donner un exemple de jeu nous ayant marqué, il y a Fiasco, qui se joue avec des mots clés et où chacun apporte sa touche personnelle à l’histoire et cela donne beaucoup de latitude à l’interprétation. Je le conseille fortement, même pour les débutants !
Que conseilleriez-vous à un·e débutant·e en jeu de rôle solo ?
Je conseille bien évidemment Chroniques d’un Vampire Millénaire pour celles et ceux qui aiment écrire ou veulent s’y mettre, qui aiment l’introspection et la liberté de vivre leur propre histoire, à leur rythme. Il faut voir ça comme une expérience personnelle, un jeu que l’on peut pratiquer sous forme de rituel régulier, quotidien ou hebdomadaire, un moyen de s’évader par l’écriture tout en y projetant un imaginaire et un ressenti qui n’appartient qu’à vous ! Et que vous pouvez partager si vous le voulez sous la forme d’un vlog, d’un récit narré ou d’une vidéo animée… Nous avons d’ailleurs fait une petite sélection très inspirante sur la page Youtube de La Loutre Rôliste.