Parfois, une interview se transforme. Comme une vague, elle prend une forme inattendue et se déroule dans toute sa subtilité. Parti d’un livre, « Teahupo’o le souffle de la vague », roman noir qui a pour personnage principal la vague la plus dangereuse du monde, l'échange est devenu plongée dans un univers.
Si la lecture de ce nom, « Miskatonic » a soulevé chez vous une réaction perplexe, vous êtes au bon endroit. Si au contraire, vous avez reconnu le nom d’une rivière (et d’une Université) dans la ville d’Arkham, vous êtes également au bon endroit. Que vous connaissiez par coeur l’oeuvre de Howard Philips Lovecraft ou n’ayez pas la moindre idée de ce dont il s’agit, embarquez avec Guillaume Sowinski, président de l’Association Miskatonic qui travaille à faire connaître au plus grand nombre l’oeuvre du maître de l’horreur cosmique. Prenez rendez-vous, car le 8 et 9 novembre prochain, à Verdun, se tient la convention « Campus Miskatonic » : deux jours de rencontres, jeux et échanges autour de Lovecraft.
Comment est née cette association, Miskatonic ?
L’association a été créée en 2019 au moment d’organiser à Verdun les “soirées Lovecraft” : projection au cinéma du film The Thing, lectures de textes par un ami acteur et soirée jeu de rôle. L’idée était de structurer le projet pour démarcher plus facilement les collectivités et également de proposer aux amateurices de Lovecraft de nous rejoindre en prenant leur carte de membre. Ces cotisations nous permettent de faire vivre l’association et de financer nos projets.
Quel est votre premier souvenir de Lovecraft, comment l’avez-vous découvert ?
Comme beaucoup de personnes de ma génération sans doute, j’ai découvert Lovecraft via le jeu de rôle … enfin indirectement. J’ai beaucoup pratiqué ce hobby à mon adolescence et j’étais lecteur assidu de la revue Casus Belli. Je ne jouais pas à l’époque à L’Appel de Cthulhu JDR (j’étais plutôt team Star Wars) mais les conseils de lecture prodigués par Roland C. Wagner et toute la bande de Casus m’ont poussé à acheter mon premier recueil de Lovecraft, puis le second, le troisième … et depuis je n’ai plus lâché ! Je me souviens des premières lectures qui à l'époque m’avaient vraiment fait peur, seul dans ma chambre. Maintenant j’ai grandi (vieilli ?) alors ça ne me fait plus vraiment peur mais je suis toujours aussi friand des ces ambiances incroyables et de ce régionalisme cosmique lovecraftien qui me passionne.
Quelles sont les actions que vous menez tout au long de l’année ?
Notre action principale est l’organisation de notre convention, à Verdun en novembre : le Campus Miskatonic. La prochaine édition aura lieu les 8 et 9 novembre. La thématique de cette année est Lovecraft et la Grande Guerre (nous sommes de Verdun alors il fallait bien s’y coller un jour !). Quelle a été l’influence du conflit sur HPL, sur son œuvre et plus largement sur la Weird fiction de l’époque. Au programme : salon des auteurs, conférences, table ronde, cinéma, exposition et jeux. En parallèle de cet événement, nous proposons un mini-cycle de conférences en ligne, à l’arrivée de l’été : le Midsommar. C’est à ce moment que nous lançons les pré-adhésions à notre association (avec de chouettes goodies pour les premiers arrivés). Nous publions un podcast (Radio MiGo) qui propose des versions audio de nos conférences ou bien des créations originales sur des sujets lovecraftiens.
Enfin, nous proposons une newsletter qui donne les dernières infos lovecraftiennes (sorties romans, BD, films …) ainsi que des focus sur certains sujets lovecraftiens. Il nous arrive d’y glisser des concours, rendus possibles grâce à nos généreux amis éditeurs. Nous sommes aussi présents sur les principaux réseaux sociaux.
L’influence de Lovecraft continue-t-elle de se développer, d’après ce que vous observez, ou reste-t-elle forte auprès d’un segment de passionné·e·s ?
Il existe une vraie communauté de passionnés de Lovecraft, nous le constatons chaque année sur notre convention ! Les visiteurs et visiteuses viennent parfois de très loin (Bretagne, Marseille, Paris, Toulouse …) pour se rencontrer et échanger. Il existe également de nombreux groupes très actifs sur Facebook. Le succès phénoménal (près de 4 000 %) du financement participatif de la traduction de l’intégrale de Lovecraft aux éditions Mnémos en atteste également : Lovecraft est toujours d’actualité et a un vrai public friand de nouveaux projets et de nouveautés. Son univers et le Mythe qu’il a créés continuent d’influencer la culture Pop actuelle : une nouvelle mouture du du jeu vidéo Alone in the Dark est récemment sortie, au cinéma le film français Gueules noires est du Lovecraft assumé. Et le succès critique et public de l’admirable BD “Le Dernier jour de Lovecraft” montre bien qu’il y encore beaucoup à dire et à écrire sur Lovecraft. Et on pourrait évoquer pendant des heures tout ce qui est fait au niveau du jeu de rôle.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer, près d’un siècle après sa mort, une telle influence, un tel rayonnement dans tous les domaines artistiques ?
Lovecraft est mort en 1937 et son œuvre aurait sans doute sombré dans l’oubli assez rapidement si August Derleth et Donald Wandrei n’avaient pas contribué à sa préservation et à sa diffusion en fondant la maison d’édition Arkham House. Ce travail a permis de faire vivre l'œuvre de HPL et de la faire connaître à de nombreuses générations successives. Son univers et sa “mythologie” ont été repris, poursuivis, cités par de nombreux auteurs et continuateurs (Robert Bloch, August Derleth, Brian Lumley, Stephen King, Alan Moore, Neil Gaiman …). En France , Jacques Bergier a beaucoup contribué à faire connaître l'œuvre de HPL. Lovecraft a fait rentrer le récit fantastique dans une dimension cosmique qui exprime l’insignifiance de l’homme au sein de l’univers. Cette vision quasi philosophique de notre existence a marqué fortement les imaginaires. Son bestiaire si caractéristique et d’une grande richesse (Cthulhu en premier bien sûr mais également Nyarlathotep, Shub-Niggurath, Azathoth …) a renouvelé le genre qui reposait alors sur le macabre, les vampires et autres fantômes gothiques. Lovecraft encourageait de son vivant ses amis auteurs et autrices à enrichir cet univers qui n’en est devenu que plus que vivant et inspirant (Robert Bloch inventera le livre maudit De Vermis Mysteriis, Frank Belknap Long enrichira le Mythe en inventant les Chiens de Tindalos, etc.). Ainsi, son œuvre a lentement infusé toute la Pop Culture et c’est sans doute pourquoi elle est autant présente aujourd’hui.
La richesse de son œuvre permet de nombreuses explorations, interprétations et questionnements, y compris sur les aspects les plus problématiques. On pensera à l’excellent La Ballade de Black Tom de Victor Lavalle ou La quête onirique de Vellitt Boe de Kij Jonhson. Enfin de façon plus pragmatique, l'œuvre de HPL est maintenant tombée dans le domaine public, ce qui favorise très largement son utilisation, voire sa surutilisation ! L’adjectif “lovecraftien” est devenu un argument de vente !
Qui sont les artistes et auteur·rice·s contemporain·e·s les plus lovecratien·ne·s selon vous ?
Pas facile. Il faut déjà s’entendre sur ce que l’on entend par lovecraftien : des allusions ou emprunts au Mythe ou bien la création d’un sentiment d’horreur cosmique ? Si l’on se penche sur les adaptations graphiques actuelles, celles de Gou Tanabe, François Baranger ou Armel Gaulme sont incontournables. Dans un autre genre, “Le dernier jour de Lovecraft” de Romuald Giulivo et Jakub Rebelka est remarquable : la BD questionne avec brio la vie du maître de Providence, son œuvre, son influence et son héritage. Du grand art ! Dans le domaine de la fiction, Gilberto Villarroel, par exemple, a parfaitement réussi à intégrer à ses romans d’aventures napoléoniennes des éléments du Mythe. Et c’est tellement Pulp.
D’un autre côté on a les créations qui explorent l’horreur cosmique. Pour moi, mon dernier gros coup de coeur est la BD « Les Ombres de Thulé » de Lionel Marty et Patrick Mallet. C’est une création originale, dans tous les sens du terme, qui mélange à merveille l’horreur cosmique de HPL à la Dark Fantasy de Clark Ashton Smith tout en nous proposant une histoire dans la droite ligne de Robert E. Howard. Parmi mes chouchous il y a aussi l’auteur suédois Anders Fager qui propose des récits très contemporains qui retranscrivent bien l’horreur lovecraftienne. Caitlín R. Kiernan avec « Les Agents de Dreamland » (collection Une Heure Lumière) est à lire, avec une histoire à la frontière des X-Files et de l’horreur cosmique lovecraftienne. Ce qu’on retrouve un peu également dans les romans de Charles Stross et son cycle de La Laverie, l’humour en plus ! Et bien sûr, Thomas Ligotti fait figure d'héritier de Lovecraft (même s’il rejette cette idée). Son univers sombre, nihiliste est dans la lignée de l’oeuvre du maître de Providence. Malheureusement son travail est trop peu traduit en France. L’occasion de saluer le travail des Monts Métallifères et des éditions Dystopia qui ont publié des textes de l’auteur américain.
Quel est votre écrit de Lovecraft préféré, pourquoi ?
“La couleur tombée du ciel”, un texte écrit en 1927 ! J’y retrouve ce régionalisme cosmique qui me plaît tant chez HPL : une description de coins ruraux perdus, un travail sur l’ambiance incroyable et l’intrusion d’un élément cosmique qui bouleverse tout. Et c’est pour les mêmes raisons que “L’Abomination de Dunwich” est mon obsession actuelle pour ce côté “horreur rurale”, presque “folk horror”.
Le titre que vous conseilleriez pour entrer dans cet univers prolifique et protéiforme ?
Quand on me pose cette question, j’ai toujours la même réponse : je suggère « Dagon » écrit en 1917. C’est un texte court qui renferme tous les grands thèmes qui feront plus tard l'œuvre de Lovecraft, c’est une sorte de proto-Cthulhu ! On y trouve une indicible créature venue des profondeurs et l’horreur cosmique que sa découverte engendre. Le narrateur en perd la raison et bascule dans une folie toute lovecraftienne. Une bonne porte d’entrée je pense pour découvrir cet univers.