[INTERVIEW] Éditions Black-Out

Rencontre avec Fabrice Garcia-Carpintero, fondateur des éditions Black-Out

Ecosystème du livre
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[INTERVIEW] Éditions Black-Out

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19/3/2024
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De la nouvelle, beaucoup. Des romans, des pièces de théâtre, des textes poétiques. Plurielle et vivante, la ligne éditoriale de la maison indépendante Black-Out reflète la personnalité de son fondateur, Fabrice Garcia-Carpintero, autodidacte atypique. Rencontre avec une maison indépendante qui fait la part belle aux textes noirs et ancrés dans le réel, relevés d’un humour (noir, forcément) féroce et d’une profonde humanité.

Je suis éditeur parce que... je me suis toujours laissé porté par mes envies, et que ce métier en faisait partie.

Comment êtes vous devenu éditeur ?

J'ai un parcours atypique, je sors d'un master de neurosciences. Mais le goût de l'écrit m'a toujours incité à imaginer des histoires, mes premiers récits construits datent du lycée. Cette envie d'écrire m'a poussé à bifurquer vers le journalisme scientifique, et j'ai accompli mes premiers pas d'« auteur » dans la presse quotidienne, tout d'abord à la Dépêche du Midi puis au Populaire du Centre, un média avec lequel j'ai conservé des attaches puisque je suis toujours correspondant de presse pour la rédaction Centre France. En parallèle, j'ai continué d'écrire de la fiction, notamment sous le format de la nouvelle, un genre que j'apprécie tout particulièrement. Si bien que je me suis un jour retrouvé avec quelques recueils, plus ou moins aboutis, que j'avais envie de partager avec des lecteurs. Ma situation professionnelle de l'époque me permettait d'envisager la création d'une entreprise, chose qui me trottait également en tête depuis un moment. En fait, j'ai toujours été un créateur, autonome, autodidacte. Je me suis donc formé et j'ai créé ma maison d'édition pour éditer dans un premier temps mes propres textes. Puis je me suis rapidement ouvert à d'autres auteurs. J'ai cessé de m'auto-éditer pour être publié chez des confrères, qui savaient beaucoup mieux me vendre que moi-même. J'ai développé mes activités autour d'une collection centrale, adaptée à mes goûts : les nouvelles noires. Sont venus ensuite se greffer les romans, les beaux livres, le théâtre, le cinéma...

Comment avez-vous défini la ligne éditoriale de votre maison ?

Mes goûts, mes rencontres, mes coups de cœur, voici ma ligne éditoriale. Plus sérieusement, si j'ai choisi le nom « Black-out » pour ma maison d'édition, ce n'est pas innocemment : un black-out, c'est une coupure généralisée d'électricité, le noir, une absence d'informations, l'omission, un trou de mémoire, lié aux excès, aux abus... ma ligne éditoriale, c'est une combinaison de tout ça. Des sujets de société peu abordés, voire occultés, des récits engagés, des personnages torturés dans des ambiances glauques, le tout rehaussé par une bonne touche d'humour noir... L'important, c'est qu'il y ait une trame de noirceur en filigrane. Après tout, c'est dans le noir que l'on distingue le mieux les lueurs d'espoir.

Vous entretenez des liens forts avec le cinéma et le spectacle vivant, par ailleurs, comment se sont-ils articulés à votre activité littéraire ?

Dans ma pratique artistique, il faut également souligner mon attrait pour le texte dit, l'oralité, l'euphonie des mots, notamment au travers d'un mouvement qui s'est développé en même temps que ma maison d'édition : le Slam. Dès mes premières années d'activité, j'ai proposé des ateliers d'écriture Slam à des publics variés, scolaires bien entendu, mais également en institut thérapeutique et pédagogique, auprès de la protection judiciaire de la jeunesse, dans le milieu carcéral, etc. Qui dit Slam dit scène, j'ai rapidement organisé un grand nombre de scènes ouvertes autour de cet art, donnant la parole à qui voulait la prendre. Puis je me suis lancé dans le théâtre, personnellement, et aussi au travers d'ateliers, notamment dans le cadre médical ; ce qui m'a permis de créer, à partir de témoignages, deux pièces de théâtre : « Dame Ô », sur l’obésité morbide et la chirurgie bariatrique et « J'arrive... » sur le déni de grossesse. Des pièces qui tournent depuis près de 10 ans maintenant. « Dame Ô » a été jouée en France et à l'étranger, et elle a reçu pas mal de prix : prix du meilleur projet participatif français 2014, prix de santé publique catégorie prévention sanitaire et sociale, mention spéciale au prix national Talents de patients... Pour ce qui est de la vidéo et du cinéma, c'est quelque chose qui m'a toujours attiré, même avant l'écrit. Adolescent, je m'amusais déjà à créer du court-métrage avec une technique appelée le « tourné-monté » avec le caméscope de mes grands-parents. Mais je m'étais éloigné de cette discipline, pensant qu'elle était inaccessible. Or, avec le temps, de nouvelles technologies se sont développées, et elles sont devenues de plus en plus facile d'accès ; si bien qu'un jour, je me suis retrouvé avec un boîtier numérique 4K entre les mains et je me suis lancé. Tout d'abord dans la captation de pièces de théâtre, celles que je produisais, pour proposer des DVD en plus des livres des dialogues. Puis des reportages sur les nouvelles parutions « Black-out », puis des teasers pour la promotion de ces mêmes livres, et enfin des adaptations de certaines histoires et des films totalement indépendants des éditions. Depuis, je réalise et je produis des courts-métrages et je participe à ma façon à leur diffusion (qui reste assez compliquée), via ma chaîne YouTube @FabriceGarciaCarpintero et mon festival du court-métrage que j'ai créé en 2023 à Limoges, les Pleins Feux sur le Film Français, alias PFFF !

On raconte de tout sur les sélections de manuscrits, comment les lisez-vous ? Comment choisissez-vous vos auteurs ?

Souvent, les livres que j'édite sont issus de rencontres, sur des salons, des festivals, des dédicaces, grâce au réseau, etc. Mes auteurs deviennent, par ailleurs, fréquemment des amis. Il m'arrive tout de même de sélectionner un manuscrit suite à un envoi, soit numérique, soit par la poste. C'est assez régulier, un ou deux par an. Ce qui représente une partie infime des manuscrits reçus. Je dirais moins d'un pour cent. Lorsque je reçois un texte, je suis très sensible au courrier d'accompagnement, et encore plus au CV, ou plutôt au parcours personnel de l'auteur. Certains profils m'intéressent tout particulièrement, les gens abîmés par la vie, les sensibilités exacerbées, les touche-à-tout, ceux qui ont choisi la voie de la difficulté, de l'inconfort, ceux qui se sont engagés contre les injustices, quelles qu'elles soient, en bref, les vrais auteurs, ceux qui ont des choses à rencontrer. Il faut savoir que ma collection centrale, celle des nouvelles noires, regroupe essentiellement des récits d'auto-fiction, alors vous comprendrez facilement l'importance du vécu dans tout ça.

Vous publiez beaucoup de nouvelles, quel rapport entretenez-vous à ce genre (dont on dit souvent, en France, qu’il ne se vend pas) ?

Tous les grands auteurs que j'admire ont publié de la nouvelle, je pourrais citer par exemple Bukowski ou Palahniuk, pour parler au plus grand nombre. Ces deux auteurs reflètent bien l'état d'esprit des éditions Black-out. Après, il est vrai que la nouvelle n'est pas le style littéraire le plus bancable, mais je ne me suis pas lancé dans cette aventure pour faire du chiffre, le profit n'existe pas vraiment dans les maisons d'édition de mon gabarit.

Quelles sont vos maisons préférées à part la votre ?

Bon, j'ai failli utiliser mon joker sur cette question, mais en toute honnêteté, j'aime bien les éditions « Goutte d'Or » ou « Au Diable Vauvert » qui publient des textes d'auteurs qui pourraient faire partie des miens, et réciproquement... Puis il y a « Mars-A », qui suit mes pérégrinations littéraires et publie mes textes Slam.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?

Ce qui me plaît dans mon métier, dans toutes les facettes du métier que je me suis créé sur-mesure, c'est la diversité, ces différentes casquettes qui me permettent de vivre plusieurs vies en une même journée : le matin avec des jeunes pour des ateliers, un sujet journalistique à couvrir pour le Populaire du Centre entre midi et deux, une mise en page pour une nouvelle parution l'après-midi, une représentation de théâtre le soir... Et comme je le dis souvent aux jeunes que je rencontre lors de mes ateliers : Carpintero, ça signifie menuisier, charpentier ; j'aime construire des projets avec des artistes, ils prennent la forme de livres avec des auteurs, de pièces avec des metteurs en scène, de films avec des réalisateurs, etc. C'est l'envie de créer et de partager, d'inciter à créer et à partager, de donner la parole et de la valoriser par un supplément de visibilité, c'est tout cet ensemble qui m'anime.

Multi talents et multi casquettes, Fabrice vient par ailleurs de lancer une campagne de financement pour réaliser un film d'animation autour de l'autisme Asperger. Toutes les infos ICI

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