Parfois, une interview se transforme. Comme une vague, elle prend une forme inattendue et se déroule dans toute sa subtilité. Parti d’un livre, « Teahupo’o le souffle de la vague », roman noir qui a pour personnage principal la vague la plus dangereuse du monde, l'échange est devenu plongée dans un univers.
Faire rimer jeux de société et pédagogie, découverte et amusement, éco-responsabilité et onirisme, c’est le pari un peu fou que relève le studio indépendant « Collective Adventure », basé à Bordeaux. Porté par Laura et Jérémy, dont le goût du jeu et l’expérience en la matière ne date pas d’hier, le studio crée des jeux intelligents et amusants, pensés avec des entomologistes pour conjuguer jeu de rôle et cohérence naturaliste. Ici, on joue des insectes, mais pas n’importe lesquels… Rencontre avec Laura Degracia, qui nous emmène à l’aventure !
Je suis éditeur·rice…parce que je suis convaincue qu’on peut avoir un impact positif sur la société en jouant.
Comment êtes vous devenu·e éditeur·rice de jeux de société ?
Collective Adventure est le premier studio d’édition spécialisé dans la création de jeux d’aventure à impact environnemental et sociétal.
Avec Jérémy, nous avons créé Collective Adventure en réaction à une phrase lancée au cours d’un repas de famille : « À votre âge, vous passez votre temps à jouer plutôt que de faire des choses utiles ! ». Pour être honnêtes, cette remarque nous a d’abord vexés.
Puis, rapidement nous nous sommes souvenus de tous ces moments où notre passion pour le jeu avait permis de sauver l’ambiance d’une soirée, partager des souvenirs de parties épiques ou même créer de la cohésion. C’était une évidence pour nous que le jeu était utile et qu’il pouvait même l’être à une échelle beaucoup plus large que notre salon.
Collective Adventure c’est le croisement de notre passion pour le jeu et de nos convictions personnelles qui nous ont poussé à nous questionner sur l’impact que nous voulions avoir à notre échelle : comment utiliser ce divertissement que l’on adore pratiquer au quotidien pour faire passer des messages porteurs de sens et permettre d’associer jeu convivial et enjeux sociétaux ?
Comment avez-vous défini la ligne éditoriale de votre maison, cette spécialité dans le jeu à portée éducative ?
La ligne éditoriale vient directement du type de jeu qui nous a le plus inspiré pour la création de la collection ROLETIME, à savoir le jeu de rôle.
Nous avions l’habitude d’utiliser ce jeu narratif et coopératif pour animer des soirées avec nos proches mais également comme outil de team building avec nos équipes en entreprises.
Nous savions donc déjà toute la portée pédagogique de ces jeux puisque nous l’avions expérimenté au fil des années autour de nous.
Notre studio propose des jeux immersifs, dont la mécanique découle de la thématique à impact abordée et surtout qui véhiculent bonne humeur et optimisme.
Pour notre première gamme autour des insectes aventuriers, nous avions vraiment en tête de mélanger onirisme, en plongeant les joueurs et joueuses dans un univers magique et très esthétique, et réalisme avec le travail que nous avons réalisé en collaboration avec des entomologistes.
Vous portez une attention particulière à la fabrication et à son impact écologique, comment abordez-vous cette question ?
Cette question est à la base même de la création du studio puisque pour nous ça n’avait pas de sens de parler d’impact si cela ne passait pas aussi par la production de nos jeux. Notre approche du jeu d’aventure à impact nous pousse créer des jeux de qualité tout en respectant notre planète. Pour les titres BUDIZZ et ROLETIME, nous avons privilégié une fabrication française et éco-responsable en veillant à ce que soit utilisé des matériaux écologiques, des encres végétales et du carton issu de forêts gérées durablement.
Chaque détail compte : nos boîtes sont conçues avec soin pour optimiser leur taille, leur production et ainsi réduire notre empreinte écologique. L’idée est vraiment d’être en cohérence avec les thématiques de la conception jusqu’à la production : pour cette gamme qui vise à développer l’empathie pour la biodiversité et plus généralement le vivant, c’était primordial que les jeux soient respectueux de l'environnement.
Comment sont nés les jeux que vous avez créés, à la croisée du JDR et du jeu de plateau ?
Nous pratiquons le jeu de rôle ensemble depuis bientôt 12 ans avec Jérémy. C’est lui qui m’a fait découvrir ce nouveau monde quelques mois après notre rencontre au travers d’une partie de la célèbre licence Donjons et Dragons avec ses amis d’enfance. Il m’a fait découvrir ce qui était pour lui le jeu de société ultime. Cette soirée se résume en un moment de partage, de rire et quelques moments épiques autour d’une pizza avec des joueurs et joueuses venus pour profiter du moment et s’évader quelques heures. Pendant 10 ans, nous avons joué très régulièrement en gardant dans un coin de nos têtes le rêve d’en faire un jour un projet professionnel commun.
C’est finalement en 2021, que l’histoire du premier jeu commence autour d’un atelier sur la biodiversité, j'étais bénévole pour l’association Happycluteur. L’idée était d’inviter du public, notamment des étudiants, à en découvrir plus sur les insectes, principalement pollinisateurs. Après plusieurs semaines riches en apprentissages, j’ai découvert qu’en-dehors des abeilles, il existe beaucoup d’autres acteurs de la pollinisation, tout aussi importants et efficaces.
Fascinée par les vrais supers-pouvoirs des insectes, j’inondais Jérémy de détails sur leur compétences fascinantes chaque soir. J’ai été particulièrement sensible au rôle des bourdons qui sont de véritables druides de la pollinisation ou encore des coccinelles, assassines redoutables qui peuvent éliminer de 100 à 200 pucerons par jour ! Et c’est donc en divaguant, en imaginant les archétypes de nos insectes qu’on a commencé à créer ce qui deviendra ROLETIME • La Plaine des Bourdonnements .
Comment choisissez-vous les projets à porter, les jeux à développer?
Pour les jeux que nous éditions en tant que Collective Adventure, soit nous partons d’une thématique que nous avons envie de traiter, comme la préservation de l’océan qui sera abordée par une gamme à venir en 2025, soit suite à la rencontre avec un auteur ou une autrice et un coup de cœur pour un projet comme pour le prochain jeu qui aborde la randonnée et le tourisme durable. Nous réalisons également des jeux pour des acteurs de l’innovation sociale et dans ce cas nous veillons à ce que la structure soit en accord avec nos piliers à savoir un thématique à impact, une mécanique pensée pour la thématique, l’éco-conception, l’immersion et l’optimisme.
Qu’est-ce qui vous plait le plus dans ce métier ?
Je pense que c’est vraiment l’alternance de moments hyper conviviaux quand on rencontre les gens en festival ludiques et les moments de création purs quand nous sommes plusieurs jours dans une bulle à imaginer les histoires et les prochaines mécaniques.
Quel est votre jeu idéal, celui que que vous rêvez de créer un jour ?
Ce n’est pas tellement le jeu en lui-même mais plutôt le public auquel il sera destiné. Nous aimerions beaucoup travailler sur un jeu d’aventure qui abordera le handicap et pourra réunir autant des personnes en situation de handicap et des personnes dîtes valides. Quand nous rêvons grand, nous imaginons demain une adaptation de ROLETIME proposée dans les établissements scolaires pour que le jeu d’aventure soit enfin accessible à tous et toutes pour construire le monde de demain.