Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Spécialisées dans les littératures océaniennes et du grand Pacifique, les éditions Au Vent des Iles font souffler depuis 1990 un vent d'inédit et de nouveauté dans le paysage de l'édition indépendante. Rencontre avec leur fondateur, Christian Robert.
Je suis éditeur parce que... la littérature océanienne est littérature et que j’ai à cœur de la faire découvrir !
Comment êtes vous devenu éditeur ?
Je suis arrivé au livre par l’imprimerie, l’encre, le labeur ! Directeur d’une imprimerie à la fin des années 80, j’ai vu arriver le bouleversement technologique de la PAO, et ai investi dans un studio graphique, équipé des outils les plus modernes à l’époque. Nous avons réalisé quelques livres en packaging, pour d’autres éditeurs, et cette activité nous a happé littéralement, nous avons publié notre premier livre, un petit ouvrage sur l’architecture tropicale de Tahiti, puis un second, pour très rapidement ne plus faire que des livres.
Comment avez-vous défini la ligne éditoriale de votre maison ? Pourquoi se concentrer sur les plumes océaniennes ?
J’ai très vite fait le pari audacieux de bousculer les représentations et les lieux communs attachés à la Polynésie et au Pacifique en valorisant une création littéraire autochtone, la plus légitime à raconter son histoire et ses réalités contemporaines. À travers les textes littéraires et les travaux de recherche que nous publions, nous donnons à voir le Pacifique d’hier et d’aujourd’hui autrement en déconstruisant les stéréotypes et enrichissant le portrait de l’Océanie. À l’origine, un constat simple : Bougainville, Segalen, Loti et les autres voyageurs européens qui ont livré jusqu’au début du 20e siècle des récits sur la région, continuent de tenir le devant de la scène. Avec eux le mythe d’un exotisme exubérant – femmes à la sexualité débridée, bons sauvages et autre paradis retrouvé – continue de s’imposer insidieusement. Pourtant, une littérature originaire du Pacifique prend corps avec une vitalité certaine depuis au moins un demi-siècle. Une littérature qui érige une nouvelle posture et livre une manière différente de concevoir le monde tel qu’il est aujourd’hui.
« Nous avons accepté la version des autres. Nous devons apprendre à nous regarder avec nos propres yeux » assène l’auteure polynésienne Chantal Spitz en 2006. C’est bien là l’entreprise dans laquelle s’est lancée Au vent des îles depuis ses débuts : donner à lire la pensée océanienne et non l’Océanie pensée par les Européens. Décentrer le regard en somme, pour éclairer l’histoire, les cultures et sociétés du Pacifique, y compris dans leurs dynamiques actuelles. En publiant des textes polynésiens en français ou en éditant des textes d’auteurs du Pacifique traduits en français, Au vent des îles contribue également à dynamiser la valorisation d’une identité océanienne qui, au-delà du plurilinguisme et des singularités territoriales, partage au moins un héritage commun, et probablement un destin.
D’un point de vue régional, la littérature a facilité le rapprochement des auteurs des deux bords, francophones et anglophones et permis de renouer avec les liens qui étaient le fondement de ce que Epeli Hau’ofa a développé avec son concept de « mer d’îles», en opposition à des îles éparpillées sur un grand océan. La plupart des écrivains du Pacifique avaient rompu tout échange avec les territoires français, grandement en raison des essais nucléaires, et de la très mauvaise publicité de l’affaire du Rainbow Warrior. Le fait qu’un éditeur basé en Polynésie s’intéresse à leurs travaux a concouru, avec le temps, à dépasser ce blocage. Les rencontres entre auteurs océaniens qu’Au vent des îles encourage à l’occasion des salons du livre de Tahiti et de Nouvelle-Calédonie, ou lors de tournées en France sur des manifestations littéraires créent en ce sens, pour les écrivains et chercheurs du Pacifique, des espaces d’échanges, de discussions et de débats propices à l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un territoire partagé, un ensemble culturel océanien.
Quelles sont vos maisons préférées à part la votre ?
J’aime beaucoup Gallmeister, Anacharsis et Le Sonneur. On raconte de tout sur les sélections de manuscrits, comment les lisez-vous ? Comment choisissez-vous vos auteur·ice·s ? Nous recevons de nombreux manuscrits chaque mois. Pour apprécier la qualité et la cohérence des écrits avec notre ligne éditoriale nous avons constitué un réseau de lecteurs, qui sélectionnent les manuscrits qui leur semblent les plus prometteurs. Les textes retenus par ce premier cercle sont ensuite lus par plusieurs collaborateurs pour déterminer ceux qui rejoindront notre catalogue.Nous nous appuyons aussi sur un réseau de professionnels et d’amoureux de la littérature océanienne dans le Pacifique, des éditeurs, des agents avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années pour repérer des textes ou des auteurs qui pourraient s’inscrire dans notre ligne éditoriale. De plus, nous avons la fibre patrimoniale et nous nous attachons à publier l’intégralité des textes de nos auteurs.
Quelles sont les spécificités des voix que vous éditez ?
Nos auteurs, résolument ancrés sur leur île mais façonnés par une histoire commune, imprègnent leurs écrits d’une ambition partagée : donner à lire l’Océanie autrement. Polynésiens, calédoniens, maoris de Nouvelle-Zélande, samoans, mélanésiens, aborigènes d’Australie, fidjiens, papous, etc, ils sont les porte-paroles d’une culture dont les fondements et les manières de penser le monde (peuplement, migrations, vivre-ensemble, lien humains-environnement, etc) éclairent les grands enjeux contemporains.
Quels sont les titres que vous préférez chez vous ?
Tous, parce que chaque texte que nous publions est un coup de cœur ! J’ai toutefois une affection particulière et une admiration sans borne pour Patricia Grace. Romancière et nouvelliste, elle est l’une des voix contemporaines les plus respectées de la Nouvelle-Zélande. De nombreux prix et distinctions nationaux et internationaux lui ont été décernés, dont le prix Neustadt en 2008. Nous avons publié une grande partie de son œuvre, dont les romans « Les yeux volés », « Les enfants de Ngarua », « Le bataillon maori », « Mutuwhenua, la lune dort », « Chappy » et « Potiki, le petit dernier » ( qui lui a valu le LiBeraturpreis lors de sa sortie en Allemagne en 1994), et les recueils de nouvelles « Electrique cité » et « Des petits trous dans le silence ».
Qu’est-ce qui vous plait le plus dans ce métier ?
La diversité des métiers du livre, ne serait-ce qu’au sein d’une maison d’édition ne tolère aucune routine, le monde de la création c’est une nécessité de partage, d’écoute, de solidarité, une source d’énergie. Passé le cap de l’édition, lorsque le livre est fabriqué, et qu’il condense tous ces talents, toutes ces vies et qu’il prend son envol, c’est aussi le bonheur d’apporter aux lecteurs des expériences singulières, de leur proposer un passage vers des imaginaires inconnus. Et puis, j’ai le privilège d’être entouré de personnalités de grande valeur, mes collaborateurs comme les écrivains que nous publions.