Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Discours social et médical, binarité des points de vue, poids des traditions catholiques, paternalisme, culpabilité. Combien de poncifs entendons-nous sur la maternité ou son refus ? Combien d’idées reçues qui ne laissent, finalement, que peu de place à la singularité, au choix, au désir. "Une femme ne s’accomplit que par la maternité", "une femme n’est une femme que mère" contre : "une femme est une femme", "une mère est soumise à la dictature patriarcale"… Et, au milieu, elle en pense quoi, la femme ? La future mère ? La Femme ? Que veut-elle, sait-elle, imagine-t-elle, comment se situe-t-elle ? Comment esquisse-t-elle le futur de son enfant ?
A travers un texte incisif, coupant, parfois cynique et toujours extrêmement fin, Amandine Dhée questionne et met en perspective la maternité sans tabou ni faux-semblants, et sans non-dits. Sa plume se déploie, la langue se déroule, fluide et maîtrisée, poétique et percutante. La Femme Brouillon prend des allures de manifeste d’une portée humaine et féministe inspirante.
Pourquoi ce livre ?J’ai écrit ce livre pour « m’éclaircir », comme le dit joliment Charles Juliet. Rendre compte de mon expérience de la maternité, tenter de comprendre ce qui s’est joué en moi au cours de cette période singulière. Témoigner aussi du regard des autres, et la façon dont notre société considère les « Mères » (majuscule hautement ironique, bien entendu !). J’ai le sentiment que de nombreux non-dits circulent encore sur la maternité, qu’il est difficile de sortir d’une certaine binarité (« la maternité n’est bonheur » / « la maternité est un enfer »). A partir de mon propre vécu et de nombreuses discussions avec d’autres femmes, j’ai eu envie d’écrire, avec l’intuition que mon texte qu’il résonnerait pour d’autres.
Je me positionne clairement en féministe
Pourquoi pensez-vous que l’on reproduise en permanence un discours lisse et hypocrite sur la maternité ?Il y a une foule de pistes que votre question m’évoque…Je dirai qu’une société patriarcale à tout intérêt à véhiculer ce discours, qui occulte une partie de la réalité, mais permet aussi de ne pas changer ses fondamentaux. Je crois qu’il y a une part d’ignorance, aussi. Je pense que les femmes prennent moins la parole dans l’espace public et donc, ont moins de chances d’être entendues. Les femmes étant encore souvent accaparées par la charge des enfants et du travail domestique en plus de leur activité professionnelle, elles ont moins le temps et l’espace de prendre la parole. Et les femmes qui ont su s’émanciper de ces modèles dominants se battent sur d’autres fronts.Le plus troublant, c’est que certaines femmes véhiculent elles-mêmes ce disours. J’ai le souvenir d’un article intitulé « Pourquoi ma mère m’a menti », où la narratrice dénonçait les mensonges véhiculés de mère en fille. Peut-être parce que les femmes s’emparent du seul rôle qu’on veut bien leur donner/assigner. Peut-être aussi parce qu’elles sont courageuses et qu’elles serrent les dents.Sans doute aussi est-ce difficile d’admettre que notre propre mère n’a pas nagé dans le bonheur en nous élevant et qu’on préfère se raconter des histoires idéalisées de maternité ?
Je me définis et m’évade en permanence de cette identité de mère
Considérez-vous que votre livre déploie une portée politique ?Oui. Avec cette idée que le privé est politique. Je me positionne clairement en féministe et c’était important de le faire pour moi. J’ai envie que les hommes et les femmes se réinventent. D’ailleurs, je suis très touchée quand je sens que ce texte parle aussi à des hommes. J’ai envie de dénoncer des inégalités et ce mythe de « l’égalité déjà là » cher à Christine Delphy. Pour autant, je veux aussi montrer mes propres contradictions, mes ambivalences. Je ne veux surtout pas avoir un discours moral.Quelle mère vous sentez-vous ?C’est une question très intime et à laquelle il m’est difficile de répondre simplement. Ce qui est sûr, c’est que je suis plusieurs ! (La femme brouillon, la demi-mère, la femme-lézard, la Mère…) Lors d’une rencontre en librairie, une amie s’est étonnée que je parle de la « femme-lézard » comme si je lui avais définitivement réglée son compte, et j’ai été obligée d’admettre, que non, elle était encore présente…Ce qui est certain, c’est que je me définis et m’évade en permanence de cette identité de mère, et c’est dans ce mouvement, je crois, que je peux être en joie.
La Femme Brouillon - Amandine Dhée