Chronique. Les choses que nous avons vues

Qui n’a pas déjà signalé photos, vidéos, propos choquants, voire carrément abjects ou insupportables sur les réseaux sociaux ?

Chronique. Les choses que nous avons vues

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3/3/2022
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Qui n’a pas déjà signalé photos, vidéos, propos choquants, voire carrément abjects ou insupportables sur les réseaux sociaux ? Qui s’est demandé comment ça fonctionnait, ensuite ? S’il y avait des gens qui validaient ou invalidaient ce que les plateformes devaient ou non laisser en ligne ? 

Vous, je ne sais pas, mais l’écrivaine Hanna Bervoets, oui. Son dernier roman, le premier traduit en français emmène ses lecteur·ice·s dans le quotidien de Kailegh, jeune femme qui a travaillé, par nécessité financière, pour une entreprise spécialisée dans la modération de contenu. À l’avocat qui lui propose de poursuivre cette entreprise en justice, elle répond ce texte, à la fois factuel et vivant, distancé et désabusé, sur ce qui a eu un véritable impact traumatisant sur elle. 

Avec un style qui alterne froideur et images vivantes, lucidité et fragilité, Hanna Bervoets dresse plus que le portrait d’une jeune femme perdue : elle saisit sur le vif la violence de l’époque actuelle, et son délitement. Parfois cynique, toujours humaine, elle déploie un sens de la psychologie qui dépasse de loin l’univers qu’elle construit, au point de venir directement interpeller la personne qui lit. Les personnages d’Hanna Bervoets, c’est nous, nos ami·e·s, des gens que l’on croise dans les bars, dans la rue. Ils ne sont ni bons, ni mauvais. Ils sont malléables, déformés par ce qu’ils voient et consomment, avalés par la machine à broyer que sont les réseaux sociaux et la violence qu’ils génèrent. La subtilité d’Hanna Bervoets se tient, entre autre, dans son absence de manichéisme. Si les images pèsent lourd dans la balance des modérateurs, les idées ne sont pas en reste, et ce sont elles qui, paradoxalement, auront l’impact le plus destructeur. 

Il y a le style d’Hanna Bervoets, à la fois cash et soigné, souvent drôle, il y a cet univers orwellien où ce qui pourrait ressembler à une belle histoire d’amour glisse lentement vers un cauchemar absurde. Il y a également la construction de ce court roman, écrit à l’occasion du plus important événement consacré au livre aux Pays-Bas, la Bokenweek, qui fait penser à l’architecture d’un bâtiment moderne et intemporel à la fois. 

Subtilement en prise avec l’époque sans la caricaturer, juste tout en restant discrète, Hanna Bervoets déploie un univers riche, nuancé et terriblement juste. Espérons que ses autres textes nous parviendront en français dans un futur proche, spécialement ses nouvelles. 

Les choses que nous avons vues. Hanna Bervoets. Traduit du néerlandais par Noëlle Michel. Editions Le Bruit du Monde

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