Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Les Editions Asphalte inaugurent "Fait Maison" notre nouvelle rubrique dédiée aux maisons... d'édition. Depuis 2009, le binôme Claire Duvivier et Estelle Durand fait souffler un vent d'ailleurs, de villes, de polars, et surtout de bonne littérature dans le paysage éditorial français. Estelle Durand nous invite dans les bureaux, presque dans son cerveau!
Je suis Editeur... Parce que depuis que j’ai dix-huit ans, je crois bien que mon choix était fait, et que l’une de mes autres passions, c’est le voyage, d’où cet intérêt pour la littérature étrangère.
Comment êtes vous devenue éditrice ?
J’ai toujours voulu travailler et être en lien avec le livre, avec l’écrit, mais ce n’est que pendant l’année du Bac que je me suis mise à m’intéresser au métier d’éditeur. Avec les études supérieures (prépa puis licence, maîtrise et DEA de lettres modernes, et enfin un DESS d’édition) ont commencé les expériences professionnelles concrètes, sur le terrain, dans plusieurs maisons d’édition, le plus souvent indépendantes, ce qui a permis un apprentissage polyvalent et plutôt complet. C’est vraiment dans ces maisons que s’est forgée une conscience de ce qu’être éditeur veut dire.
Littérature urbaine, qui touche aux villes, à leurs mutations, avec un ancrage social fort, des voix marquées
Mais une autre réponse évidente et pertinente à donner serait tout bonnement, le jour où je me suis retrouvée, avec Claire, à devoir publier un premier livre, nous toutes seules, comme des grandes, sans filet, sans garde-fou. C’est là qu’on devient éditrice, pas avant. Mais il y a aussi cette première fois où il a fallu dire non, refuser un manuscrit, s’expliquer à soi pourquoi, l’expliquer ensuite à l’auteur, ce qui fait réfléchir concrètement à ce que l’on recherche dans un texte, chez un auteur, dans une voix, un projet.
Comment avez-vous défini la ligne éditoriale de votre maison ?
Quand on créé sa maison, quand on commence à se poser la question de quels auteurs, de quels textes on va accueillir, on a évidemment envie que le résultat final nous ressemble, qu’il reflète, quelque part, ce qu’on aime, ce qui nous inspire, ce qui nous marque. Et comme nous étions, nous sommes deux, le choix a été plutôt évident, finalement : choisir ce qui nous plaît à toutes les deux, ce qui nous intéresse au plus haut point mais aussi ce qui pourrait donner une vraie identité à la maison, sans rester dans un vague et flou « maison généraliste ».
On a eu la vision d’une maison très cosmopolite
Littérature urbaine, qui touche aux villes, à leurs mutations, avec un ancrage social fort, des voix marquées, pas forcément atypiques mais porteuses d’une petite musique, d’un rythme propre. C’est souvent ce que je me dis quand un manuscrit me tombe des mains : « je n’entends pas de petite musique qui m’accroche. »
Notre passion commune pour le voyage nous a immédiatement menées à vouloir publier des auteurs de tous pays. On a eu la vision d’une maison très cosmopolite, un peu auberge espagnole, et de voix très libres, s’affranchissant des codes trop établis de chaque genre littéraire.
Quelles sont vos maisons préférées à part la votre ?
L’Olivier Allia, Autrement, Minuit, mais aussi Le Passage du Nord-ouest ou Cent Pages.
Être éditeur dans son propre bateau, c’est être beaucoup plus d’éditeur
Publiez-vous ce que vous aimez lire ?
Oui et non. Dire « j’aime » n’est pas le seul critère de choix, même s’il est une condition sine qua non de publication. Il faut que j’aime, il faut que Claire aime, il faut aussi que cette perception positive s’inscrive dans la durée (rien de pire qu’un texte qu’on a « aimé » sur le moment et qui ne laisse aucun souvenir dix jours plus tard) et il faut aussi que le texte et l’auteur en question s’inscrivent dans le projet global Asphalte, sans pour autant qu’il y ait de répétitions, de doublon ou autre. Cohérence et complémentarité, voilà comment je résumerai les deux critères essentiels en plus des « j’aime » de l’une et l’autre.
Comment se passe le travail en binôme ? Comment vous répartissez-vous les tâches ?
Le travail en binôme permet de se répartir les ouvrages. L’une est éditrice, l’autre devient assistante d’édition sur des titres précis, ce qui nous permet de tout lire chacune et de retravailler les textes en collaboration. Les autres postes, ceux qui ne relèvent pas du travail éditorial pur et dur, on se les partage (presse, compta, site, fab, administratif, relations libraires, salons, festivals et organisation d’événements… Être éditeur dans son propre bateau, c’est être beaucoup plus d’éditeur.)
On raconte de tout sur les sélections de manuscrits, comment les lisez-vous ? Comment choisissez-vous vos auteurs ?
Nous lisons les manuscrits français sur écran tout d’abord. Nous avons mis sur pied une sorte d’interface où les gens peuvent poster directement leur fichier (word, pdf, odt), lequel arrive donc directement au Comité de lecture (composé de… Claire et moi, donc). Je ne lis pas les textes au fur et à mesure de leur arrivée, ni au jour le jour. Cela nécessite de la concentration, du temps, pour entrer dans un univers, une histoire, un style, puis pareil, cela demande du temps pour en sortir et passer à autre chose. Je fonctionne par périodes. Quand je suis dans une période « manuscrits », je peux en décortiquer 50 en quelques jours. Mais attention, seuls ceux qui nous plaisent, qui retiennent notre attention pour une raison ou pas une autre sont lus in extenso.
On se rend finalement assez vite compte de si le texte est asphaltien ou pas, s’il est de qualité, s’il a un petit quelque chose. Et s’il a ces petites choses, là on se lance dans une lecture plus approfondie. Les deux seuls romanciers français publiés par Asphalte, nous ne les connaissions pas du tout. Leurs textes sont arrivés sur cette fameuse interface, de façon très impersonnelle (c’est ce que nous souhaitons), ils ont été lus, on a été embarquées. On est loin des légendes, justement, qui circulent sur le milieu de l’édition, mais il n’y a rien de plus vrai. Prague faubourgs est est paru en octobre 2014. Notre nouvel auteur français, lui, sera en librairie en septembre, avec son premier roman…