Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
[dropcap letter="I"]l faudrait être bien naïf pour s’arrêter à l’étiquette « Sex, Drugs & Rock’n’roll » de ces deux parcours autobiographiques. Il faudrait être aveuglé par les paillettes factices d’un rêve oublié et ne pas voir la magnifique fragilité qui se dégage de ces écritures singulières.
Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir. Cookie Mueller.
Traduction de Romaric Vinet-Kammerer. Il y a quelques jours, un ami m’a dit « j’en peux plus de la littérature de camé, j’ai l’impression de connaître chaque putain de seringue des trottoirs de LA ». Effectivement, ces dernières années, la littérature dite « underground » a fait une poussée hors de ses couloirs confidentiels et s’est étalée au grand jour. Parfois en bien, parfois en mal, en maladroit ou en redite. Il apparait donc comme d’autant plus délicat d’aborder un livre forcément baigné de drogues, de sexe, d’alcool, de perdition, de galères et tout ce qui peut s’en suivre. Cookie Mueller fait partie des derniers Mohicans de l’avant-garde new-yorkaise, des dernières icônes underground, des dernières artistes déjantées et d’une liberté absolue. Morte du SIDA en 1989 à 40 ans, Cookie Mueller est une étoile filante, une comète, une tornade qui traverse les années 60, 70, 80 aux côtés de John Waters, Nan Goldin, Robert Mapplethorpe, échappe à Manson et prend l’avion pour Berlin avec un soutien-gorge plein de drogues. Des anecdotes loufoques, Cookie en raconte des dizaines dans ce recueil au style percutant et drôle, brut et d’une délicatesse raffinée. Elle ne tombe jamais dans une caricature d’excès et de situations qu’on aurait du mal à imaginer avoir lieu aujourd’hui, où la transgression n’est plus ce qu’elle était. Jamais elle ne se laisse emporter par une esthétique trash et facilement provocatrice, elle conte, narre, joue avec son lecteur qu’elle promène dans un monde récolu. Cookie Mueller ne cherche pas à choquer le bourgeois, elle se livre telle qu’elle était, sincère, tendre, vertigineuse, humaine, sensible… et surtout, surtout : libre. Libre quitte à brûler sa vie et de ne pas pleurer sur son sort. Il y en a peu, des femmes comme Cookie Mueller. Peu de gens qui se donnent à corps perdu dans le métier de vivre, sans avoir suivi de formation préalable. Editions Finitude
Menteur. Rob Roberge.
Traduction de Nicolas Richard. Rob Roberge fait partie des écrivains qui ne ménagent pas leurs lecteurs. On l’aimait chez 13e Note, avec ses histoires de camés, de braves gens paumés, d’excès et de solitude tout en finesse. Quelle surprise de le découvrir dans un livre puzzle au propos si intense qu’il donne parfois l’impression d’imploser ou de manquer d’air. Ancien toxico, ancien alcoolique, Rob Roberge apprend un jour qu’il risque de perdre progressivement la mémoire, à cause des excès, de plusieurs commotions cérébrales, sans parler d’un trouble bipolaire et d’accès psychotiques particulièrement violents. L’écrivain se lance alors dans une mise en ordre de son passé, des événements importants de sa vie, des gens, des épisodes… On se promène entre amours, drogues, périodes clean, famille, amis, voyages, en suivant une trame non chronologique, comme s’il livrait les souvenirs au fur et à mesure qu’ils lui venaient, sans faux semblants ni fards. Rob Roberge ne cache rien de sa solitude intérieure, de ses angoisses, de son obsession du suicide, de ses faiblesses et traumatismes. Il se dégage une humanité terrible, une sincérité déroutante et une sensibilité telle que l’on éprouve très vite une tendresse et une sympathie profonde pour cet homme qui se bat contre son pire ennemi : lui-même. Nulle esthétique ne se cache dans les pages de ces mémoires, nulle esthétisation de la condition de junkie, loin de là. Roberge livre ses vertiges, la réalité glaçante de l’addiction et son impact concret sur le corps, le psychisme, l’avenir. Et l’on se surprend à sentir des larmes qui montent aux yeux et le coeur qui se serre devant une telle sincérité, devant une humanité aussi frappante. « Comment sait-on qu’un junkie ment ? Ses lèvres bougent » dit le proverbe underground. Ici, on lit un type clean, et sa vérité nous bouleverse. Editions Gallimard