Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
C’est un vrai bon roman américain à base de boxe, de losers, de testostérone et de galères. On se croirait dans un film des années 50, avec ces comédiens classe qui savaient vraiment jouer des rôles, pas comme maintenant où tout est surjoué et où on serait capables de demander à Clint Eastwood de filmer.
Fat City sent la sueur et le whisky. On suit l’itinéraire de Bill Tully, type de même pas trente ans, et qui a déjà raté sa vie. Largué par sa femme, il a abandonné la boxe où il semblait ne pas être trop mauvais et galère comme journalier, incapable de rester dans un boulot fixe tellement il boit. Un jour où il daigne aller taper dans un sac à la salle de sport, il croise un jeune type, Ernie Munger, pas mauvais boxeur et plutôt motivé. Il ne s’en suivra nullement une histoire de mentor/poulain, non Bill Tully n’imagine même pas qu’Ernie puisse être celui qu’il a échoué lui à devenir. Il lui recommande le club où il allait, point. Ernie fera quelques combats amateurs, fera tomber une fille enceinte qu’il épousera et voilà. Bill continue sa vie de loser. L’entraîneur véreux (sans doute avec une fine moustache et un chapeau mou), continue à se préoccuper de ses matchs de seconde zone. La vie quoi…Plutôt court, ce roman parvient à dégager une immense noirceur et un poids émotionnel rares, qui ne sont pas sans rappeler les univers étranges de Joyce Carol Oates (qui, comme par hasard, a encensé ce récit!), où les choses se déroulent, la vie, les tracas, l’amour, mais sans réelle prise, comme si les personnages étaient déjà condamnés, déjà désignés à un destin médiocre et sombre. Car, sombre, ce roman l’est. Poisseux, presque, de la sueur rance de l’effort. Les personnages sont tous des braves types, sans doute, mais complètement paumés, en manque d’amour et incapable de se l’avouer. Incapables d’avoir le courage de se regarder dans une glace, tous boxeurs brutaux qu’ils soient. Ils en bavent, et c’est ça qui fait le charme de cette histoire, son charme et sa force. On ne s’identifie pas trop à ces gars, qui trouvent le moyen de choisir des nanas qui ne leur conviennent pas tout à fait et que, même avec tout le féminisme qu’on imagine, on n’arrive pas à trouver trop défendables ni supportables. Ils se trompent de vie, se trompent de rêves, se trompent d’espoirs. Ils foncent à l’aveuglette dans le déroulement des jours sans sortir de leur KO personnel. Le parallèle entre la vie et un math de boxe est tentant, mais c’est tellement cliché que je m’en abstiendrai.Je me contenterai de dire que si tous les écrivains qui n’ont qu’une seule histoire à raconter, comme c’est le cas de Leonard Gardner, écrivaient avec cette force, la littérature se porterait mieux. Et saluons le travail d’éditeur de Tristram, (dont le travail éditorial et la qualité du catalogue ne font aucun doute depuis longtemps), qui a réédité ce texte introuvable en français depuis des années, révisé par Leonard Garner himself.
- Fat City de Leonard Gardner - traduit par Pierre Girard. Editions Tristram