Excellence, cheval, Italie, les trois mots-clé de ce roman ado où règne une ambiance poisseuse, alourdie par les non-dits et l’abus.
Lauréate française de l’EUPL 2019, Prix Littéraire de l’Union Européenne, Sophie Daull a publié deux autres romans, également chez Philippe Rey. C’était une découverte, pour moi. Et quelle découverte. On y rencontre un employé de mairie un peu particulier, un ancien taulard végétarien qui a réussi sa réinsertion. On commence par le trouver sympathique, avoir envie de partager son histoire, sa psychologie, son quotidien. Eh bien on les partage, et on prend un bon coup dans les dents. En face de ce personnage de criminel qui a purgé sa peine, Sophie Daull plante une narratrice omnisciente et s’offre une méta histoire, comprenez : une histoire sur l’histoire, ou une histoire dans laquelle l’autrice intervient et pas seulement la narratrice. Une histoire transversale à celle que raconte ce meurtrier, celle qui sous-tend l’écriture de l’autrice, la femme derrière tous ces personnages de (non) fiction.
N’y allons pas par 4 chemins, il est ici question d’un homme qui a été emprisonné pour le viol et le meurtre d’une femme, plusieurs années auparavant, la mère de la narratrice. Et d’une narratrice qui vient présenter son nouveau livre, qui parle de la mort prématurée de sa fille, dans la ville où il s’est désormais réinséré socialement. Précisons au passage que les faits sont réellement arrivés à Sophie Daull, qui puisse dans ces tragédies une énergie créatrice mesurée et sans atermoiements. Pas une seconde le récit n’est déséquilibré par un faux pas ou une complaisance. Durs sont les mots qui qualifient ce meurtrier, en toute légitimité, affectueuses sont parfois ses intentions envers lui, ou profondément humaines, intéressants sont les fils que tire cette autrice qui choisit de bouleverser les habitudes du lecteur et le sortir de son confort. Sophie Daull n’en laisse aucun à son lecteur qu’elle traine en dehors de sa zone bien définie et jette sur un ring devant, non pas un poids lourd qui va l’assommer d’un coup, mais un adversaire que l’on n’aurait jamais pensé capable de secouer quelqu’un comme ça. Se prendre de sympathie pour un inconnu et découvrir ensuite qu’il a violé et tué une femme, c’est un sentiment étrange, et Sophie Daull le sait, sans aucun doute. Comme elle sait doser le malaise, l’horreur, la violence pour mieux magnifier la rédemption, l’humanité, le vertige.
Grinçant, perturbant, audacieux, Au grand lavoir est un roman complexe avec lequel Sophie Daull challenge l’auto-fiction comme personne, donnant au genre une dimension inédite et un pouvoir littéraire illimité. Editions Philippe Rey