Liste de lecture. Où sont les femmes ? Ici !

Essais et romans voisinent dans cette sélection qui met, une fois de plus, la littérature indépendante et les femmes à l’honneur.

Liste de lecture. Où sont les femmes ? Ici !

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22/2/2022
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Essais et romans voisinent dans cette sélection qui met, une fois de plus, la littérature indépendante et les femmes à l’honneur. Discrimination positive ? Non, volonté éditoriale qui émerge au moment des sélections, des manières d’articuler les thématiques entre elles. Il se trouve qu’il y a de plus en plus de livres écrits par des femmes, de plus en plus de bons livres, en plus.  S'il y avait des hommes pour penser que les femmes qui lisent sont dangereuses, que vont-ils penser de celles qui écrivent ?

Vertèbres. Morgane Caussarieu. Il s’en passe des choses bizarres dans ce petit bled de bord de mer, dans les Landes. Jonathan, 10 ans, fils unique d’une mère étouffante et gentiment flippante sur les bords, est enlevé par une femme à l’allure bizarre. Quand il revient, sa mère a du mal à reconnaître son cher petit chéri, qui va devenir de plus en plus bizarre, au grand damn de ses copains, Sasha, garçon manqué débrouillarde et têtue, et Brahim, souvent mis à l’écart à l’école par discrimination. Morgane Caussarieu parvient à réaliser un exercice particulièrement délicat dans un genre aussi codifié que l’horreur : rendre hommage aux classiques avec une malice bourrée de clins d’œils qui ravit les amateur·ice·s, tout en insufflant un regard et un sang neuf à un mythe hyper exploité, celui du loup-garou. En alternant le journal de Sasha et les pensées de la mère de Jojo, Morgane Caussarieu dessine une ambiance particulière, tendue et drôle à la fois, trash et décalée, avec une aisance et une virtuosité saignantes. Il y a plus de Stephen King que de Poppy Z. Brite dans ce roman, où les trois copains font penser au « Club des Ratés » de Ça, comme la personnalité de la mère de Jojo rappelle celle de la mère d’Eddie dans le même roman. Peu importe, après tout, à qui fait penser qui : ce qui compte, c’est la qualité de ce que l’on dévore. Pardon, lit. Editions Au Diable Vauvert

Dans ton tube. Florence Andoka. Ce texte est à la fois proche de l’enquête et proche du happening littéraire. Avec une structure qui rappelle les jeux de contraintes stylistique, Florence Andoka livre une non-fiction cinglante de justesse sur les mécanismes à l’œuvre sur YouTube et les raisons qui poussent à s’afficher, les risques inhérents. Par un style fluide et vif, parfois poétique par ses sonorités et constructions, l’autrice dissèque les différents manières dont les réseaux sociaux attaquent les individus, sabrent leurs bases, sapent leur estime de soi. Construit comme un circuit fermé qui nous mènerait de suggestion de compte en suggestion de compte, « Dans ton tube » décode dans donner de leçons, ponctue de références qui donnent envie de sortir de l’algorithme, et, surtout, ne tait pas la violence à l’œuvre envers toute personne qui s’aventure, souvent mal préparée, sur ces terres oh combien normales depuis une dizaine d’années. Amusant comme ce texte sur les réseau sociaux, construit comme une boucle de clics donne envie de fermer tout ça et de se plonger dans un livre, loin du bruit du monde. Editions Gorge Bleue

Sur les bouts de la langue. Noémie Grunenwald. « Traduire en féministe/s » dit le sous-titre. Déjà, la traduction, lorsque l’on se penche un tout petit peu sur le sujet, apparaît comme une discipline délicate, riche, complexe, exigeante, intense, et ainsi de suite. Mais lorsque l’on traduit des textes militants, féministes et LGBT, parfois porteurs de concepts à inventer dans la langue finale, à décoder avec suffisamment de précision pour les faire comprendre dans une autre langue que celle qui les a vus naître, le casse tête n’est souvent pas loin. En parlant de son expérience, de son travail, Morgane Grunenwald dit qu’elle « fait de la traduction », une manière de ne pas se mettre sous les feux de la rampe, mais de plonger dans les coulisses du métier, chevillé à sa vie. À la fois récit autour de la traduction, récit de vie, ce texte mélange joyeusement les genres et donne à voir, en sous texte, l’importance d’aborder la traduction sous un angle militant. L’importance de traduire au plus près des concepts d’une langue à l’autre, pour contribuer à essaimer des clés, des outils, des notions, des armes de lutte.Editions La Contre Allée 

Grande couronne. Salomé Kiner. Difficile de parler de prostitution adolescente sans lourdeurs ni démagogie (de prostitution tout court, d’ailleurs, mais c’est une autre question. D’adolescence, aussi, mais c’est également une autre question). Or, des lourdeurs, dans ce premier roman, il n’y en a pas. De démagogie non plus. Bien plus qu’une histoire sur la manière dont une adolescente tombe dans un réseau de prostitution de proximité et de facilité, pourrait-on dire, Salomé Kiner dessine le portrait d’une mutation, d’une manière d’entrer dans le monde des adultes et ses désillusions. Bien sûr, la prostitution autour du lycée en est une. Mais, bien plus, et de manière plus insidieuse, c’est le divorce de ses parents qui plonge cette fille dans un chaos dont elle ne voit pas l’issue. Son père part vivre avec une autre femme, elle se retrouve à devoir gérer le quotidien normalement assuré par sa mère, qui plonge dans une dépression sévère au divorce. Tout se délite : sa grande sœur claque la porte pour pour partir vivre un grand amour au Club Med, ses petits frères se chamaillent comme des gosses de cet âge, et la vie doit continuer, entre les cours, les passes qui se raréfient, donc l’argent de poche, et les courses, le ménage… Roman d’apprentissage en prise avec l’époque, « Grande couronne » se distingue par la manière dont Salomé Kiner définit ses personnages, leurs réalité, leur humanité, par son sens de la description, aussi. En résumé, Salomé Kiner fait partie des autrices à suivre. Editions Christian Bourgois

La vallée des fleurs. Niviaq Korneliussen. Traduction du danois par Inès Jorgensen. Après un premier roman fort et remarqué à sa juste valeur en 2017, la jeune autrice groenlandaise revient enfin ! Le style de Niviaq Korneliussen, entre réalisme et introspection, teinté d’humour, d’auto-dérision et de poésie, est toujours bien là. Plus délicat encore, plus nuancé, plus fort. Dans ce roman qui aborde de front l’épidémie de suicide qui sévit spécifiquement au Groenland, elle plonge au cœur d’une société malmenée, fragile, entre repli et isolement. La beauté de la nature ne fait pas tout, même si elle fait beaucoup pour la narratrice, étudiante amoureuse obligée de s’éloigner de sa copine le temps de ses études au Danemark. Un drame survenu dans la famille de celle-ci la ramène plus tôt que prévu parmi les siens, et un déclic irréversible a lieu dans sa tête. Niviaq Korneliussen parvient à installer un climat étrange tout au long de son livre, prenant et souvent inquiétant, dessine une narratrice qui a du mal à s’intégrer en dehors de chez elle, bringuebalée entre l’obscurité et la lumière. Avec une grande sensibilité et sans faux-semblants, l’autrice livre ici un roman universel sur la construction, l’entrée dans l’âge adulte et la manière de se projeter dans le futur. Editions La Peuplade

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