Liste de lecture. Rêve américain ?

Ces plumes de la littérature américaine, le rêve les a oubliées. Qu’il s’agisse de récits autobiographiques ou de romans, les étoiles ne brillent pas

Liste de lecture. Rêve américain ?

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8/4/2022
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Ces plumes de la littérature américaine, le rêve les a pour le moins oubliées. Qu’il s’agisse des récits autobiographiques de Tom Kromer et de Dorothy Allison ou des romans d’Eugene Martin et de Ruchika Tomar, les étoiles ne brillent pas. On voit plutôt 36 chandelles à la lecture de ces textes forts, emprunts d’un réel bien loin d’Hollywood et des paillettes. 

Les vagabonds de la faim. Tom Kromer. Traduit de l’américain par Raoul de Roussy de Sales. Vous aimez les récits authentiques, sans fards ni faux semblants ? Sans figures de style alambiquées ni paraboles lyriques ? Ce court texte écrit avec les tripes va vous bouleverser. Tom Kromer se projetait enseignant, la Grande Dépression fera de lui un stiff, un vagabond, à l’image de ceux que l’on rencontre, entre autres, chez Jim Tully ou Tristan Egolf. Pas un clochard céleste, pas un type qui fait de la poésie avec ses galères, un vrai vagabond qui crève de faim dans la rue et se fait boucler par la police ou jeter dehors par les commerçants. Avec un sens fulgurant de l’instantané, Tom Kromer décrit ce microcosme pas si micro à l’époque, où l’on meurt de faim, dort dehors, vend ses charmes pour un peu de chaleur, risque de se tuer pour attraper un train en marche, mendie, vole, essaie de survivre dans un pays ravagé. Il n’y a pas d’esthétique chez lui, la misère est brute et amère, comme son style qui reste longtemps dans la tête. Tom Kromer raconte, en caméra embarquée, la vie qu’il mène et qui aura raison de son écriture et de sa santé. Editions Christian Bourgois

Trash. Dorothy Allison. Traduit de l’américain par Noémie Grunenwald. Dorothy Allison est une femme élégante. Élevée dans un milieu plus que précaire, « white trash » américain, dans une violence absolue, elle parvient à faire sourire voir rire ses lecteurs par la subtilité de son style et sa manière inimitable de raconter une histoire. Conteuse, elle dépeint la face sombre des Etats-Unis (enfin, l’une d’elles, le pays de Mickey en a plus qu’il ne le laisse penser). Elle ne tait rien des abus sexuels et des viols (incestueux, souvent), des violences intra-familiales diverses, des addictions ravageuses, des accidents souvent mortels qui font disparaître un·e proche, un·e cousin·e sans plus d’explications. Ce quotidien, elle l’a connu et ne cache rien de ses origines sociales. Par ces nouvelles imagées, portées par une écriture vivante, pleines de fureur et de force de vie, Dorothy Allison peint une réalité, certes, mais donne avant tout une voix à celles qui n’en ont pas. Car il est surtout question de liens entre les femmes, d’un amour touchant pour sa mère, d’un hommage à cette sororité fracassée, maladroite, mais féroce. Elle qui a fui, qui a étudié, qui est aujourd’hui une écrivaine reconnue, figure du féminisme et du militantisme LGBT, ne se renie pas une seconde. Bien au contraire, elle nous invite dans le quotidien de son enfance et de son adolescence avec ces textes bouleversants et puissants, traduits avec un soin particulier. Editions Cambourakis

Prière pour les voyageurs. Ruchika Tomar. Traduit de l’américain par Christine Barbaste. À partir d’un pitch simple, la disparition suspecte d’une serveuse dans une petite ville du Nevada, Ruchika Tomar dresse une gigantesque fresque où les chapitres s’entrelacent selon un ordre non chronologique. Non linéaire, sa narration originale parvient à restituer ce qui semble pourtant impossible à traduire : la manière dont les éléments d’une vie sont liés, dont les actions s’articulent entre elles à notre insu, dont nos actes présents signent notre futur. En jouant sur la temporalité, sur la manière de raconter l’histoire de Cale, cette serveuse dans un diner qui se met à la recherche de son amie et collègue Penelope, disparue du jour au lendemain, Ruchika Tomar dessine le portrait d’une autre Amérique. La psychologie des personnages s’affine au fur et à mesure de l’histoire, sombre, qui émerge sous une plume qui ne laisse rien de côté. On ne voit pas seulement la poussière, la sueur, la chaleur, on les sent tellement Ruchika Tomar parvient à invoquer la réalité de son décor. Brutale et subtile à la fois, l’ambiance du roman évite le manichéisme et rend hommage à ces laissés sur le bord de la route du rêve américain, ces habitants des plaines en lisière de désert, ces hommes et ces femmes qui ne connaissent rien d’autre qu’une certaine forme de survie. Un premier roman aussi puissant, c’est rare ! Editions La croisée

Ordure. Eugene Martin. Traduit de l’américain par Stéphane Vanderhaeghe. Le titre original n’est pas « trash » mais « waste ». Pourtant, on nage en plein dans le trash avec ce court texte qui suinte le jus de poubelle et m’a rappelé les grandes heures de Gabrielle Wittkop (écrivaine française à l’origine d’une œuvre macabre, très originale et souvent dérangeante). Sloper est agent d’entretien dans un immeuble d’entreprise où personne ne le remarque vraiment, lui et son chariot qu’il pousse jour après jour. Il vit chez sa mère, ou plutôt dans la cave de sa mère obèse qu’il ne voit jamais. Lui-même est invisible au yeux des autres. Rien n’éclaire sa vie ni ne génère la moindre empathie. Pas de véritables amis, seulement des connaissances avec qui il échange quelques mots, évidemment pas de petite amie, il existe sans vivre réellement. Or un soir, Sloper va franchir la frontière entre le misérable et l’horreur, et glisser inexorablement. « Ordure » est bien un roman trash, par son absence de concessions, par son propos, par ce qu’il décrit. Mais comme souvent, le trash n’est pas gratuit. Il sert à caricaturer au burin, à grossir les traits d’une réalité qui ne choque personne. Sloper n’est pas seulement l’anti-héros d’un roman, il incarne la monstruosité d’un système, social, économique, politique, ses débordements, ses abjections. Et c’est là l’une des qualités de l’auteur : flirter avec l’abjection sans s’y vautrer pour mieux la faire éclater au grand jour comme une décharge à ciel ouvert. Editions Quidam

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