[INTERVIEW] Antônio Xerxenesky : "Ce qui me plait, c'est de déconstruire les genres"

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[INTERVIEW] Antônio Xerxenesky : "Ce qui me plait, c'est de déconstruire les genres"

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11/4/2019
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En trois romans, Antônio Xerxenesky a fait souffler un vent de nouveauté dans le paysage de la littérature latino-américaine. Trois romans de "genre", très différents, où codes pop se mêlent à des références littéraires solides. Du western de zombie à l'horreur, en passant par le policier, il aborde la littérature aux antipodes de la mode "réaliste". Rencontre avec un écrivain qui joue sur les genres en toute aisance et intelligence.

Vous avez publié 3 romans en français, tous les trois dans des genres très différents, pourquoi ? 

Je suis un homme aux obsessions changeantes. Quand j’ai commencé à écrire Avaler du sable, j’étais fana de westerns spaghetti. Quand j’ai écrit F, j’écoutais non-stop de la musique des années 1980 et Joy Division (et, bien sûr, je regardais les films d’Orson Welles). Enfin, pour Malgré tout la nuit tombe, j’étais vraiment à fond dans l’horreur, le surnaturel et l’occulte. Je ne sais pas pourquoi j’ai développé de telles obsessions, mais lorsque celles-ci apparaissent, je plonge dedans jusqu’à les avoir épuisées et que je ne puisse plus les supporter.  Je montre vraiment le processus dans mon dernier roman, malgré tout la nuit tombe: la protagoniste fais ses recherches universitaires sur le sujet, devient spécialiste de la question et une fois ceci fait, elle peut dépasser son obsession et dominer ses peurs. 

Pourquoi avoir particulièrement choisi des romans « de genre » ? 

J’aime vraiment un large éventail de genres et de livres. Si j’y réfléchis sérieusement, mes livres favoris relèvent du modernisme européen – Musil, Broch, Joyce – et il y a aussi quelques auteurs très contemporains et expérimentaux – comme Bolaño et Pynchon. Mais je suis parfaitement conscient que je n’ai pas ce qu’il faut pour écrire de telles œuvres.

écrire dans un genre donné me permet de parler de thèmes très sérieux sous des apparences qui ne le sont pas.

D’un autre côté, j’apprécie vraiment la pop culture. J’ai vu des tas de films, joué à des jeux vidéo et écouté de la pop musique. Et donc, dans mes romans, j’ai toujours essayé de prendre des genres donnés et de les « subvertir ». Avaler du sable est un western avec zombies, mais il s’agit de mon interprétation personnelle du genre, et je ne l’aurais pas écrit si je n’avais pas autant lu Derrida. C’est comme pour Malgré tout la nuit tombe : c’est un livre d’horreur très inspiré de mes problèmes personnels mais aussi de Là-bas, de Huysmans. Je crois que mes romans sont représentatifs d’un moment de l’histoire littéraire où les barrières entre « culture officielle » et « sous-culture » ne valent plus.  Si on les considère à 100% comme des romans de « genre », mes romans sont exécrables.  C’est vrai, je joue toujours avec la déception et la  frustration autour de la quête principale. Si vous aimez les grands romans policiers, vous serez sûrement très déçus avec  F. J’utilise quelques bribes de conventions qui forgent un genre donné et je rejette les autres. Ce qui me plait vraiment, c’est de déconstruire les genres.

Quel est votre projet littéraire, allez-vous poursuivre dans cette voie ? 

C’est drôle que vous me parliez de ça, car je crois que je suis actuellement plongé dans une crise. Parce que j’ai la sensation que mon travail sur les genres est derrière moi. C’est comme si j’étais à la fin d’un cycle, mais je ne sais pas encore vers où je vais aller. J’ai passé les dernières années à travailler sur ma thèse de doctorat, qui porte sur Roberto Bolaño, et ça a complètement épuisé mon énergie pour écrire de la fiction. Je dois vraiment penser à ce que je vais créer maintenant.

J’ai développé ce travail sur les genres de fiction comme un rejet de la fiction réaliste, la base de la fiction contemporaine brésilienne en ce moment. Je ne sais pas quel chemin je vais prendre à l’avenir en tant qu’écrivain, mais je peux vous dire que je ne serai jamais un auteur réaliste ennuyeux. 

Comment concevez-vous l’écriture, quel est votre rapport à cette discipline artistique ? 

Je ne suis pas un écrivain professionnel, dans la mesure où je n’en vis pas. Au brésil, c’est très rare qu’un auteur gagne de l’argent avec ses livres. Donc je dois travailler, et écrire de la fiction est quelque chose que je ne fais que les week-ends ou en soirée. Grâce à cet emploi du temps, je n’écris que quand j’ai vraiment quelque chose à dire. Malgré tout la nuit tombe était une façon de faire face à des questions très personnelles auxquelles j’ai été confronté après la mort d’un ami proche, et concernant mon job alimentaire à Sao Paulo. Comme je ne dois pas écrire pour vivre, écrire devient quelque chose de spécial pour moi, une manière de faire des expérimentations avec la langue et les genres, pour m’approcher de sujets qui me sont chers. Pour revenir à la question précédente, je ne pense pas que je serais capable d’écrire directement sur un sujet personnel ; écrire dans un genre donné me permet de parler de thèmes très sérieux sous des apparences qui ne le sont pas.

Antônio Xerxenesky est publié aux Editions Asphalte

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