Liste de lecture. Premiers romans prometteurs de la rentrée 2019

Cette année, 82 premiers romans voient le jour à la rentrée. 82 nouvelles voix vont tenter de se faire entendre dans le brouhaha médiatique

Liste de lecture. Premiers romans prometteurs de la rentrée 2019

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13/9/2019
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Cette année, 82 premiers romans voient le jour à la rentrée. 82 nouvelles voix vont tenter de se faire entendre dans le brouhaha médiatique des beaux parleurs, des valeurs sûres et des poids lourds. Un premier roman, comme toute première fois, c’est souvent l’articulation d’une vie, l’amorce d’une vocation, le vertige de l’inconnu. Le premier pas vers une longue et brillante carrière, l’étincelle qui enflamme une passion. L’écrivaine Nina Bouraoui rapprochait d’ailleurs premier roman et premier amour pour leurs similitudes, ce même élan, cette même fièvre qui reste inscrite à jamais. Sans doute faut-il aimer pour vouloir écrire, et les romans choisis dans cette sélection l’illustrent bien.  A l’heure de la discutable mais incontournable Rentrée Littéraire, nous avons lu, beaucoup. Certainement pas 524 livres, ni même 82, plusieurs dizaines étant déjà largement plus que ce que notre petit cerveau est normalement en mesure d’assimiler et chroniquer. Dans ce tourbillon de mots, il a fallu faire des choix, parfois difficiles : nous ne pouvons pas tout lire, encore moins tout présenter. Nous avons été emportés par quatre premiers romans, très différents dans leur écriture, leurs propos, leur univers. Des romans signés Sofia Aouine, Oliviers Dorchamps, Amelia Gray, Philippe Marczewski. Quatre voix qui donnent à voir la littérature contemporaine sous un jour nouveau. 

Rhapsodie des oubliés. Sofia Aouine

L’oubli, Sofia Aouine aurait pu le connaître. Sa détermination et une bouleversante injonction de la part de Françoise Dolto ont tracé un destin hors du commun. Placée à l’assistance publique, elle n’avait conservé qu’une phrase mystérieuse en héritage, prononcée par son père : « Françoise Dolto a dit que tu serais écrivain ». De la violence familiale, de l’enfance irrégulière, des non-dits, des secrets de famille, Sofia Aouine a tiré une force de vie qui se ressent à chaque page de son livre. Il lui faudra des années pour reconstituer un historique personnel et trouver la trace de ses consultations, bien réelles, avec François Dolto. Logique, somme toute, que l’immigration, l’enfance, la filiation et la psychanalyse se retrouvent étroitement imbriqués dans son premier roman, Rhapsodie des oubliés. 

Récit d’apprentissage et de construction de soi dans un monde violent et hostile, il raconte l’histoire d’Abad, libanais de 13 ans arrivé à Paris avec sa famille. à Barbès, plus précisément, quartier haut en couleurs, ghetto multi-culturel qui échappe encore, à l’heure où Sofia Aouine écrit, à la gentrification. Portée par une tendresse palpable pour cet garçon, enfant dont la guerre a arraché les illusions, elle n’oublie pas pour autant de distiller la brutalité de la société, les traces laissées par la guerre, la réalité des quartiers et l’isolement tacite qu’ils dessinent au coeur même de la ville. Difficile de grandir, de devenir un homme dans ce contexte, difficile de voir un avenir… Dans une langue parlée qui ne flirte jamais avec la facilité ou la vulgarité, portée par un rythme fluide, parfois scandé, parfois fluide, Sofia Aouine glisse un superbe hommage à la psychanalyse, à la beauté salvatrice d’une relation thérapeutique. De fil en aiguille, le turbulent et teigneux Abad se retrouve en consultation chez Mme Futterman, une psychanalyste que ses frasques et provocations sont loin d’impressionner. Une vraie psychanalyste, pourrait-on dire, de ceux qu’on ne trouve, hélas, plus que dans les livres… Fort et tendre, dur et lucide, Rhapsodie des oubliés annonce l’éclosion d’une voix puissante dans le paysage littéraire français.   Editions de La Martinière

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Ceux que je suis. Olivier Dorchamps

Ici aussi, il est question de filiation, d’amour familial, de retour aux origines, mais dans une ambiance plus feutrée que chez Sofia Aouine. Peut-être est-ce parce que, sans prendre le risque de s’avancer sur la vie de l’auteur, nous sommes dans un « pur » roman, et non un roman traversé d’une réalité concrète. Franco-britannique, Olivier Dorchamps trace l’odyssée d’une famille d’origine marocaine installée en France. Lorsque le père de famille meurt, il demande à être enterré à Casablanca, alors que les garçons se considèrent comme français. Sous le chagrin, sous l’agacement, sous un certain humour, se tient le respect des ancêtres et des traditions. Marwan et ses frères vont donc s’exécuter et c’est à lui que sa grand-mère confiera un lourd secret de famille, soudain dénoué par la mort de son père. 

Amusant, dans ce genre de cas, de voir qu’il n’est pas nécessaire d’être directement concerné par ce que l’on écrit pour en parler avec justesse et élégance (comprendre : être de culture marocaine). Roman à entrées multiples Ceux que je suis jongle entre des thématiques délicates, le deuil, la filiation, le secret, le déracinement et rappelle que nous ne connaissons rien, en vérité, de nos parents. Rien de leurs secrets et chagrins, rien de leurs hontes et trajectoires. Marwan découvrira quel homme son père était en marchant sur ses pas dans les rues d’un Casa qu’il connaît à peine. Olivier Dorchamps parvient à tourner certaines scènes émotionnellement chargées en comédie subtile et à injecter un humour fin qui vient à la rescousse de la noirceur ambiante. Pudique et tendre, ce roman évite avec la plus grande élégance de tomber dans le pathos pour dresser un portrait de famille lumineux. Editions Finitude

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Menaces. Amelia Gray. Traduction de Théophile Sersiron

Changement de décor, changement d’univers. Ici, on nage dans un drôle de puzzle, dans une ambiance un peu absurde, un peu inquiétante, un peu drôle, un peu disloquée. Sans doute n’est-ce pas par hasard si cette jeune femme écrit des scénarios de séries comme Mr. Robot et Maniac (séries que je n’ai jamais vues, je n’arrive pas à regarder des séries, mais je m’en remets aux avis des lecteurs un peu plus éclectiques que moi). Par ailleurs autrice de 5 livres, essais, nouvelles et artistes, Amelia Gray apparaît comme une professionnelle de l’écriture à l’américaine. Effiface, jolie, éclectique… et douée. Il faut le dire : douée. Son premier roman, Menaces, est parfaitement ficelé, jonglant avec aisance sur les genres littéraires, jouant sur les ressentis et les attentes du lecteur de la même manière que ceux de son personnage… Tout est dosé, équilibré et finit par enserrer le lecteur dans un sentiment étrange, entre « weird », thriller et roman psychologique. Le pitch est simple, en apparence, tout au mois : à la mort de sa femme, Fanny (dans des conditions qu’il est incapable de décrire ni de de se souvenir correctement), David trouve des messages de menaces bizarres disséminés dans la maison. Il semblerait que ces messages soient la clé qui lui permettait d’élucider les raisons obscures qui entourent la mort de sa femme. Son quotidien éclate, la bizarrerie arrive au galop et chaque détail devient, sous la plue de Gray, suspect.

Avec des chapitres courts, très rythmés, elle installe une tension à peine perceptible qu’un surréalisme à la Lynch ne manque pas de renforcer. Là où beaucoup auraient pu sauter à pieds joints dans un banal récit d’angoisse et de paranoïa ou un marasme de pathos, elle parvient à créer une ambiance paradoxale, traversée d’humour et de tendresse. Son style sec et vif dessine avant tout le portrait d’un homme qui ne parvient pas à faire son deuil, où tout prend un sens particulier, surtout en regard de la mort récente et brutale de la personne qu’il aimait. Difficile de ne pas s’identifier et de perdre ses repères avec David, de ne pas se laisser gagner par cette distorsion sourde et de ne pas plonger dans ce roman hybride, entre thriller et récit de vie. Editions de l’Ogre

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Blues pour trois tombes et un fantôme. Philippe Marczewski

Tous les chemins mènent à Liège, chez Philipe Marczewski, ancien libraire et chercheur en neuropsychologie cognitive. Rien que ça. Sans doute n’est-ce pas un hasard s’il était libraire à Liège, qu’il a l’air de bien connaître… Il existe sans doute peu d’exercice aussi casse-gueule, disons-le clairement, que la description urbaine en littérature. Décrire l’âme d’une ville et de ses habitants, son histoire et sa singularité sans poncifs et sans tomber dans la cartographie ni la géographie romancée pourrait relever du défi. Proust a préféré décrire les mécanismes humains, d’ailleurs, ce n’est peut-être pas pour rien (et c’est dire). 

Dans un style parfois poétique, parfois descriptif, Philipe Marczewski déambule dans Liège, qui pourrait être beaucoup d’autres villes, qu’il a sans doutes connues. Mais c’est Liège, qu’il connaît bien et aime plus que les autres. Bercé par la musique, le blues, le jazz et le rock, qui déclenche réminiscences et associations, l’auteur semble s’amuser à jouer avec les sens de son lecteur et à le perdre quand lui sait parfaitement où il se trouve et pourquoi ces lieux précis sont chargés de souvenirs et de sens. Parabole de notre cheminement dans la vie ? Peut-être, sans doute, à nous de trouver le sens que l’on veut dans cette promenade déroutante qui éveille des souvenirs personnels, que l’on connaisse Liège ou non (et même quand on ne la connaît pas du tout), qui vient chatouiller la mémoire du lecteur et l’amener à fouiller dans ses souvenirs, ses villes et ses trajets. Sous le style fluide et précis de Philipe Marczewski, ce n’est pas seulement une ville qui prend vie, c’est aussi une existence qui se déroule. Editions Inculte

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