[INTERVIEW] Margot Dijkgraaf, du Fonds des Lettres Néerlandais

Plongée dans la littérature néerlandaise avec Margot Dijkgraaf, ambassadrice des lettres entre la France et les Pays-Bas et vice versa.

[INTERVIEW] Margot Dijkgraaf, du Fonds des Lettres Néerlandais

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31/1/2022
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Plongée dans la littérature néerlandaise avec Margot Dijkgraaf. Autrice et critique littéraire, elle est ambassadrice des lettres entre la France et les Pays-Bas et vice versa. Le Fonds des Lettres Néerlandais lui a confié les activités auprès du public français dans le cadre de la campagne "Les Phares du Nord".

Qu’est-ce que le Fonds des Lettres Néerlandais ? Quelles sont les actions menées, auprès des professionnel·le·s du livre, d’une part, et auprès du grand public, d’autre part ? 

Le Fonds des Lettres néerlandais stimule la qualité et la diversité de la littérature ainsi que la diffusion et la promotion de la littérature néerlandaise et frisonne aux Pays-Bas et à l’étranger. Elle donne dans ce but des bourses et des subventions à des auteurs, des traducteurs, des éditeurs et des festivals. Elle agit également dans le domaine du patrimoine littéraire et travaille dans le développement des nouvelles tendances dans la littérature et la profession du livre. 

Le Fonds donne des informations, des conseils, des subventions pour les frais de traduction, de production (illustrations) ainsi que des frais de voyage et de promotion. En plus, il organise des campagnes internationales afin de promouvoir la visibilité de la littérature néerlandaise à l’étranger. En 2016 par exemple les Pays-Bas étaient l’invité d’honneur à la Foire de Francfort (avec la Flandre). La campagne Les Phares du Nord en France met son focus sur la littérature néerlandophone en France. Depuis 2019 le fonds présente la littérature néerlandaise aux Royaume-Uni dans la campagne New Dutch Writing.

Quelles sont les projets phare en cours, les directions prises, spécifiquement après les deux ans de pandémie de Covid ? 

Evidemment la pandémie influence beaucoup le travail du fonds et les projets qu’il organise. Dû aux restrictions de voyage, les collaborateurs se concentrent surtout sur nos pays voisins européeens comme la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie. Le Fonds s’y investira davantage pendant les années à venir, et donnera un peu moins d’attention aux pays plus lointains comme la Chine, les Etats-Unis et le Japon. Le travail a pris une dimension numérique depuis deux ans, comme un peu partout. Le contact avec les éditeurs étrangers et la stimulation de la vente des droits, une partie importante du travail, se faisait surtout dans les grandes foires du livre de Francfort, Londres, Bologne ou Paris. Maintenant il s’agit plutôt de prendre des rendez-vous online avec des éditeurs de partout dans le monde.

Comment définiriez-vous la littérature néerlandaise classique ?

Comme la littérature française la littérature néerlandaise a ses grands classiques. Le chef d’oeuvre le plus connu du 19eme siècle est probablement le Max Havelaar, écrit par Multatuli (E. Douwes Dekker), anticolonialiste et libre-penseur, en 1859. Plus proche de nous, les grands auteurs du 20ieme siècle d’après-guerre sont sans doute Hella S. Haasse (dont l’oeuvre importante de romans, depuis Le lac noir, est intégralement traduite en français), W.F. Hermans (auteur de La chambre noire de Damoclès et Ne plus jamais dormir), Harry Mulisch (L’attentat, La découverte du ciel) et Cees Nooteboom, qui continue à publier des romans et de la poézie, traduit également en français. La littérature néerlandaise déborde les frontières nationales depuis longtemps. Pas mal d’écrivains néerlandais sont de grands voyageurs, on peut penser à Cees Nooteboom, Adriaan van Dis, Jan Brokken, Arnon Grunberg, Frank Westerman, Tommy Wieringa. en général on y trouve une thématique variée qui va de la deuxième guerre mondiale à l’histoire coloniale, du récit de voyage à la condition de l’homme dans un monde en mouvement.

Quelles sont les particularités de la littérature néerlandaise contemporaine, les genres forts, les auteur·ice·s qui l’incarnent le plus, les voix les plus prometteuses ? 

Là aussi le paysage littéraire est très varié. En général les écrivains néerlandais aiment vraiment raconter une histoire, à l’américaine. Il y a des jeunes auteurs/autrices qui experimentent avec la forme du roman et l’intertextualité (Niña Weijers et Joost de Vries par exemple). D’autre part on peut dire que la littérature néerlandaise regarde toujours en dehors des frontières et connait depuis des années des voix venus d’ailleurs (Kader Abdollah) et des écrivains d’immigration (Abdelkader Benali). Il y a les cosmopolites (comme Tommy Wieringa), les grands romanciers européens (Ilja Leonard Pfeijffer), les grands reporters (Frank Westerman) et bien sûr des romanciers psychologiques (Anna Enquist et Nelleke Noordervliet).

Dans ce paysage, comment définiriez-vous les univers et le style de Hana Bervoets et d’ilja Leonard Pfeijffer ? Leurs particularités respectives, les courants dans lesquels ils s’inscrivent ? 

Hanna Bervoets (1984) étudie le monde d’aujourd’hui dans ses romans, elle regarde ce qui est la norme, qui la définit et comment cette norme est en train de changer continuellement. Dans son premier roman traduit en français, le personnage principal est un ‘content moderator’ qui regarde les réseaux sociaux et décide ce qui va et ce qui ne va pas – un sujet de grande actualité. Grand Hotel Europa, le premier roman traduit en français de Ilja Leonard Pfeijffer (1968) est un ouvrage extrêmement ambitieux, écrit dans un style baroque, dans lequel il développe un véritable regard sur l’Europe (héritage, immigration, avenir), tout en écrivant un roman de suspense et d’amour.  

Quelle est l’importance, pour la littérature néerlandaise et sa circulation, des prix littéraires Européens ?

En 2013 Toine Heijmans a obtenu le prix Médicis étranger pour son merveilleux roman En mer. Grâce à cela il a été invité à de nombreuses festivals en France, et ses autres romans ont été traduits également. En 2020 la poétesse et l’écrivaine Marieke Lucas Rijneveld a reçu le prix International Booker pour son livre Qui sème le vent. Comme pour chaque pays, le prix de littérature de l’Union Européenne permet à la littérature néerlandaise de faire connaître un écrivain jeune à un large public. Pour tout écrivain un prix littéraire qu’il soit européen ou national est très important, puisqu’il ouvre des nouveaux horizons !

La part de littérature traduite (d’Europe et d’ailleurs) est-elle importante dans le paysage littéraire néerlandais ? 

Absolument. Comme le néerlandais est ce qu’on appelle ‘une petite langue’ (23 millions de personnes la parlent), on traduit énormément. La majorité des traductions viennent de l’anglais. Voilà pourquoi je me bats depuis longtemps pour faire traduire plus de littérature du français. Pour attirer l’attention des néerlandais sur la littérature européenne en géneral, j’ai crée il y a 11 ans le prix de la littérature européenne, qui couronne l’auteur du meilleur roman traduit en néerlandais d’une langue européenne ainsi que son traducteur. 

Qui sont vos auteurs et autrices favoris, d’une manière générale ? 

Personnellement j’aime les romans où l’auteur s’attend à ce que le lecteur participe activement à l’interprétation de son texte. Un roman qui ne dit pas tout en toutes lettres. J’aime également découvrir l’oeuvre d’auteurs femmes, à qui j’ai consacré quelques livres moi-même (Hella S. Haasse, les femmes rebelles en littérature française par exemple). Je m’intéresse aux voix de femmes qui viennent d’ailleurs, que ce soit le monde arabe ou la Méditerranée. Ce qui me passionne également est de découvrir des liens entre les différentes époques. Actuellement je travaille par exemple sur un livre sur Madame de Staël, presqu’inconnue aux Pays-Bas. C’est fou comment ce qu’elle vit et écrit parle également de notre époque.  

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