Toute jeune maison, fondée par deux sœurs, dédiée à la littérature écrite par des femmes, les éditions Prouesses placent haut la barre de la sororité et du féminisme. Trois autrices sont prévues en 2022, Mariama Bâ, Werewere Liking et Audre Lorde, trois références en matière de littérature en prise avec le réel et l’époque. Plongée dans les coulisses de cette maison d’édition qui porte les valeurs du féminisme et de la littérature internationale.
Comment est née cette maison d’édition ? Qu’est-ce qui vous a menées à la créer ?
La maison d’édition Les Prouesses est née de longues discussions entre sœurs. On travaillait toutes les deux dans le domaine de l’édition (surtout Flora), on avait le désir de créer un projet « à nous », nous permettant de partager nos idées et réflexions sur la littérature. Plus on parlait, plus on se rendait compte que nous avions les mêmes goûts, et les mêmes désirs de lecture. La plongée dans les textes de Chimamanda Ngozie Adichie a été certainement décisive, tant son écriture nous a portée et nous a fait nous rendre compte combien nous étions friandes de voix, de regards, d’histoires et de personnages venus d’ailleurs, dont la littérature qu’on avait lu, qu’on nous avait faire lire et étudier, qu’on avait nous-mêmes enseignée, ne parlait pas. Les romans de Fatou Diome, de Marie Ndiaye, nous ont percuté. La poésie d’Audre Lorde nous a électrisée. La vie nous a fait voyager, nous avons vécu, entre autres, au Cameroun, au Togo, et partout où nous allions nos bibliothèques s’étoffaient de livres, introuvables en France, et de plus en plus, écrits par des femmes. Nous avions envie de cette littérature écrite au féminin et c’est ce qui nous a fait créer la maison d’édition Les Prouesses.
Quelle est sa ligne éditoriale, quels vont être les genres publiés ?
Les Prouesses publient des œuvres littéraires qui font résonner des voix féminines venues du monde entier. Notre volonté est, par la littérature – et nous croyons fort au pouvoir de la littérature, et à la lecture en tant qu’action qui a, qui doit avoir un sens et relever d’un engagement – d’agrandir les imaginaires et d’ouvrir à d’autres sensibilités. Nous éditons des œuvres de fiction, des romans et de la poésie, des œuvres intimistes, poétiques, hybrides et surprenantes, des parutions ou des traductions inédites en France afin de remettre en lumière des classiques qui ont marqué l’histoire de la littérature au féminin.
Pionnières et militantes sur leurs terres littéraires, nos autrices sont d’envergure internationale. Elles viennent d’Afrique, des Caraïbes, des Amériques… et sont pour la plupart méconnues ou oubliées en France. Nous choisissons les voix de femmes qui, par leur pensée, leurs œuvres littéraires, et leurs combats ont contribué à la construction d’un monde plus solidaire, plus équitable.
Comment se passe la recherche de textes, l’adéquation avec les choix éditoriaux ?
C’est vraiment différent pour chaque texte… Ce sont des hasards, des recherches, beaucoup de lectures. C’est en (re)lisant Une si longue lettre de Mariama Bâ, grand classique de la littérature, que nous nous sommes demandé si Mariama Bâ n’était l’autrice que d’une seule œuvre et si elle n’avait jamais écrit autre chose. C’est au fin fond d’une bibliothèque municipale parisienne qu’on a mis la main sur un exemplaire d’Un chant écarlate, dans la version publiée en 1981 au Sénégal. Il nous a fallu deux longs mois pour parvenir à établir un contact avec la maison d’édition au Sénégal et encore quelques-uns de plus pour mettre au point un accord. Des lectures sur Mariama Bâ et le contexte littéraire dans lequel elle a écrit ont été nécessaires pour comprendre comment-pourquoi ce livre était « passé à la trappe » alors qu’on n’en finit pas de parler d’Une si longue lettre et aussi proposer dans le livre le meilleur « accompagnement » au texte (préface d’Axelle Jah Njiké, postface de la fille de Mariama Bâ, Mame Coumba Ndiaye, qui est aussi sa biographe et bien sûr, les superbes illustrations d’Elke Foltz) afin que le lectorat contemporain puisse saisir tous les enjeux de l’histoire et les messages de l’autrice. Le livre est toujours diffusé au Sénégal, réédité pour la cinquième fois en 2021 ( ! ) et nous sommes vraiment contentes de le rendre accessible pour la première fois en France.`
Flora était au Cameroun quand elle a lu La mémoire amputée de Werewere Liking, à paraître en juin 2022. Il y a dix ans, sa lecture l’avait bouleversée. Elle est revenue avec dans ses bagages, a fini par se débarrasser du livre dans un déménagement. Quand la maison d’édition est née, elle s’est tout de suite rappelée de ce texte étonnant, a fait des pieds et des mains pour remettre la main sur un exemplaire (dans la cave d’une copine qui avait vécu avec elle à Yaoundé) et me le confier. Je l’ai lu et voilà, on avait notre deuxième autrice ! Quant à la poésie d’Audre Lorde, on est tout simplement « tombé en amour » – comme disent les Québécois – de sa poésie et c’est la volonté de la traduire en français qui nous a donné le courage et le dernier élan nécessaire pour créer la maison d’édition !
Allez-vous publier des jeunes autrices, des premiers textes ?
Dans un premier temps, nous publions des textes de « pionnières », des autrices déjà reconnues, des textes déjà publiés mais qui ne sont pas parvenus, pour différentes raisons, jusqu’à nous en Europe. Dans un second temps, peut-être…
Pouvez-vous présenter en quelques mots les premiers titres de cette année ?
Un chant écarlate de Mariama Bâ est notre premier livre et sera disponible en librairie le 4 février !!! C’est le second roman, publié à titre posthume et inédit en France, d’une figure emblématique du féminisme africain ! C’est l’histoire de Mireille et Ousmane que tout sépare et que l’amour réunit, un amour qui va subir les épreuves implacables du sacrifice, du mensonge et du poids des traditions sclérosantes…
La mémoire amputée est le plus grand roman de l’autrice camerounaise Werewere Liking. C’est un « chant-roman » sur une lignée de femmes bassa, un récit à l’oralité saisissante, à l’écrit tranché, ponctué de chansons-poèmes. Teintée de réalisme-magique, c’est l’histoire de l’autrice, une histoire âpre, violente et fascinante, célébrant la puissance créatrice des femmes.
Enfin le troisième livre à paraître en 2022 aux éditions Les Prouesses est Undersong de la poétesse-guerrière Audre Lorde, une anthologie de ses meilleurs poèmes confectionnée par ses soins en 1992.
