[INTERVIEW] Omar Benlaala : La Barbe

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[INTERVIEW] Omar Benlaala : La Barbe

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23/1/2015
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Il fait partie des auteurs de la nouvelle collection du Seuil "Raconter La Vie". Omar Benlaala, ce parisien au parcours un peu atypique, nous amène dans une jeunesse marquée à la fois par les folles soirées "de son âge" et les prêches musulmans. Quand un jeune raveur se transforme en prêcheur barbu, la vie n'est pas de tout repos... Aujourd'hui à l'aise dans sa foi et dans son identité, Omar Benlaala revient sur son histoire avec ce bon sens délicat qui le caractérise.

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"On en oublierait que derrière les barbes se cachent des individus"

Pourquoi avoir choisi de raconter votre parcours ? Quand avez-vous commencé à écrire ?

Le récit La Barbe est né un peu par hasard. Il y a un an, lorsque Pierre Rosanvallon a lancé le site « Raconter la vie », des proches m’ont engagé à y poster un texte. Depuis longtemps, mon père me recommandait de relater mon parcours, parce que, disait-il, cela me « soulagerait ». Même les membres de ma famille étaient curieux de découvrir mon expérience de prêcheur puis de soufi, dont je ne leur avais que très peu parlé, bien qu’elle couvre presque dix années. J’ai rapidement écrit quelques pages, tout en me demandant quel accueil elles recevraient, et si j’avais intérêt à m’exposer en révélant à mes voisins, collègues, employeurs que j’avais porté la barbe et l’habit musulman… Le jeu en valait-il la chandelle ? Le sentiment que mon témoignage pouvait non seulement faire découvrir l’islam « de l’intérieur », mais encore aider les jeunes qui, comme moi il n’y a pas si longtemps, se cherchent, l’a emporté sur mes craintes.

Je ne découvrais pas tout à fait l’écriture : bien que j’aie été très tôt déscolarisé, j’ai toujours aimé la littérature, même si j’ai longtemps très peu lu. Il y a quatre ans, ma sœur – qui travaille dans le cinéma – m’a demandé mon avis sur un scénario qu’elle avait reçu, et cela m’a motivé à prendre la plume. Après quelques essais, j’ai compris que l’exercice ne me convenait pas, et je me suis tourné vers le roman. J’ai d’abord publié en ligne, par épisodes, une première version de ce qui est devenu une trilogie. Inspire, le volume liminaire, a été repéré par la web revue Denise Labouche, qui l’a offert en pré-publication. Ce livre, qui mêle roman à thèse et fiction d’anticipation, est désormais accessible dans une version remaniée sur mon propre site, www.gabrielsanto.com.

Parler d’un parcours spirituel aujourd’hui, est-ce facile ?

Le parcours de vie que je relate inclut l’expérience religieuse, mais ne s’y réduit pas. Si je me suis lancé avec une certaine appréhension dans la rédaction du petit texte à l’origine de La Barbe, mes craintes se sont curieusement apaisées lorsqu’il a fallu lui donner la forme d’un livre, même si cela supposait de prolonger l’auto-analyse. Non seulement je devais sortir du silence (alors que mon parcours de prêcheur avait justement débouché sur le désir de moins parler), mais je devais retrouver et affronter celui que j’avais été. Et qui aime qu’on ressorte ses photos d’adolescent ? Dans mon cas, aux bouleversements hormonaux et aux stigmates d’acné s’ajoutaient des choix religieux engageant un mode de vie singulier qui, à l’époque, a pu bouleverser mes proches. Dans les années 1990, mes parents, comme beaucoup d’autres, redoutaient plus que tout que leur fils se marginalise… Chez les immigrés, particulièrement, on éduquait les enfants à ne pas se faire remarquer, à rester à leur place. Porter une boucle d’oreille ou un tatouage, c’était déjà scandaleux, alors la barbe ! Mais je ne regrette rien, si ce n’est d’avoir fait souffrir mes parents. C’est avant tout pour eux que j’ai accepté d’écrire ce livre ; pour leur rendre un peu de cette fierté dont je les ai si longtemps privé.

Envisagés rétrospectivement, mes choix religieux prennent un tout autre sens. Mes engagements successifs dans le tabligh puis la mystique soufie, dont je n’ai jamais fait mystère, n’étaient plus perçus après le 11-septembre comme ils avaient pu l’être. La Barbe paraît aujourd’hui dans un contexte extrêmement tendu, où le désir de compréhension côtoie l’aversion : certains ne veulent plus entendre parler des « barbus », comme si ces derniers formaient un bloc. On en oublierait que derrière les barbes se cachent des individus. Écrire sur le sujet expose à la fois comme auteur et comme individu, puisque La Barbe est autobiographique. Mais la prise de risque est accrue par le fait qu’on traite de l’islam, et non d’une autre pratique spirituelle. Une bouddhiste qui décrirait ses pérégrinations d’ashram en ashram semblerait, il me semble, moins suspecte qu’un musulman qui avoue avoir réalisé plusieurs retraites spirituelles au Pakistan… C’est justement ce type de représentations que La Barbe cherche à ébranler, en montrant que, si comme beaucoup d’adolescents j’ai connu mes errances, mon parcours spirituel m’a fait grandir ; et que si, vus de l’extérieur, mon investissement a pu paraître excessif, il ne peut être assimilé à une « folie sectaire ». Après tout, je me suis investi en islam comme d’autres jeunes s’investissent dans le militantisme.Lorsque le Seuil m’a proposé de décrire ma quête spirituelle, je me suis dit qu’écrit avec finesse, un tel livre pourrait faire du bien : il permettrait de pallier une certaine méconnaissance de l’islam (d’où l’aspect parfois un peu « pédagogique » de ma prose). Bien que la réalité que je décris soit finalement assez éloignée du monde de l’après 11-septembre où nous vivons, j’espère que mon témoignage permettra de poser un regard plus nuancé sur certains jeunes qui, aujourd’hui, se cherchent dans la religion.J’ai tout de suite pris conscience de la responsabilité qu’impliquait une telle entreprise. La spiritualité relève de l’intime, et la dire peut être mal perçu, mal compris par le public. Voilà pourquoi chaque mot, chaque phrase, chaque formule de La Barbe ont été pesés : si je ne m’interdis pas l’autodérision, j’ai soin de ne blesser personne. À mes yeux, le chapitre « Laissez-moi danser » est essentiel, car il rappelle que l’homme est par nature inconstant et fragile. Certains seront sans doute choqués d’apprendre que j’ai pris de la drogue et fréquenté les discothèques tout en portant la barbe et en faisant la prière ; mais c’est la vérité. J’ai voulu, à travers mon récit, briser le tabou selon lequel le prêcheur, qui se veut le « représentant de Dieu sur Terre », est un être sans peur ni reproche ; avouer que j’ai connu le doute au moment même où beaucoup de mes coreligionnaires me considéraient comme un exemple est à mon sens une véritable bénédiction. Le recul m’a permis de mettre les mots justes sur les évènements qui ont fait mon parcours. Ce récit est l’expression d’une certaine maturité ; sans elle, je n’aurais jamais pu m’exprimer aussi librement.

Quel est l'accueil réservé à votre livre ?

Un accueil très positif ! Depuis que les premières pages de La Barbe ont été mises en ligne, les lecteurs disent tous à peu près la même chose, à commencer qu’ils voudraient en savoir plus ! Faire tenir dix années si chargées sous ce format a été un défi… Mais, comme les éditeurs, je tenais à ce que mon récit soit accessible au plus grand nombre, et qu’il fasse preuve d’une certaine pédagogie, sans tomber dans le manuel. J’ai travaillé la forme jusqu’à trouver une énergie qui me ressemble. Bien que le sujet puisse paraître on ne peut plus sérieux, les lecteurs me disent avoir beaucoup ri. Ils sortent dépaysés de ces pages où l’on voyage dans la tête d’un jeune homme désœuvré autant qu’à travers un univers méconnu : le monde musulman, des mosquées parisiennes aux grands lieux de rassemblement du sous-continent indien. Enfin ‒ et c’est peut-être ce qui me touche le plus ‒, on me lit d’une traite. J’y vois – même si le livre est court – le signe que j’ai su trouver le bon tempo. C’est d’ailleurs ce que souligne d’emblée la première critique, réalisée par Jacques Munier sur France Culture…

Que pensez-vous des amalgames pratiqués en France (et dans le monde) autour de l’islam ?

L’amalgame, qui un réflexe partagé (le monde musulman ne manque pas, lui non plus, de juger « l’Occident » en bloc), est toujours le fruit de l’ignorance ou de l’incompréhension. La méconnaissance se corrige par la connaissance, et la connaissance s’acquiert par l’apprentissage ; mais pour apprendre, il faut avoir envie de connaître l’autre… J’écris dans La Barbe, de manière volontairement provocatrice : « Pour beaucoup, distinguer deux musulmans, c’est comme distinguer deux Chinois : trop compliqué » ; on cède à la facilité en se soumettant au dictat de la peur qui, comme chacun sait, paralyse. Faisons un effort : tous les « Asiatiques » ne sont pas « Chinois » (au passage : beaucoup sont Français), tous les « Arabes » ne sont pas « musulmans », et vice versa.Pour que les gens cessent d’étiqueter leur prochain, il faudrait un travail d’éducation général qui ne peut qu’être encadré par l’École et les médias. Ces derniers, souvent prompts à caractériser les individus en fonction d’une supposée origine « ethnique » ou sociale, devraient être soumis à une neutralité plus grande. Nos identités sont plurielles : je suis Parisien, d’origine algérienne, un peu kabyle, mais aussi écrivain, baby-sitter, amateur de foot, presbyte, en couple, etc. Et je peux devenir autre chose : il y a des vies dans la vie.

Aujourd’hui, comment vous définissez-vous ?Comme un chercheur de vérités, au pluriel. De petites vérités. Un homme qui, faute d’être complètement libre (l’est-on jamais vraiment ?) refuse les dogmatismes, d’où qu’ils émanent – il n’est pas que des dogmatismes religieux... Un amoureux ravi de se former et de s’exprimer grâce à l’écriture, qui lui permet de dire en silence ce qu’il ne veut plus hurler.

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La Barbe d’Omar Benlaala. Editions du Seuil, coll. « Raconter la vie »

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