[INTERVIEW] Pauline Verduzier : "J'ai eu envie de questionner les stéréotypes qui entourent le travail du sexe pour donner la parole aux concernées"

"Plus vieux métier du monde", la prostitution fascine et déchaîne souvent des affrontements idéologiques violents.

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[INTERVIEW] Pauline Verduzier : "J'ai eu envie de questionner les stéréotypes qui entourent le travail du sexe pour donner la parole aux concernées"

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1/3/2021
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"Plus vieux métier du monde", la prostitution fascine et déchaîne souvent des affrontements idéologiques violents. Souvent, sans que les personnes concernées ne soient interrogées, souvent, on parle pour elles, au point d'en oublier que "le plus vieux métier du monde", c'est potier, et non travailleuse ou travailleur du sexe. Journaliste spécialisée dans les questions de sexualité et de genre, Pauline Verduzier est allée à la rencontre de ces femmes et de ces hommes, a échangé avec elles et eux, observé leur mode de vie, leurs clients et clientes. "Vilaines filles" s'illustre comme un essai réussi, sobre, juste et profondément humain en plus de s'appuyer sur une rigueur journalistique sans failles.

Comment vous êtes-vous spécialisée en questions de sexualité et de genre ?

J’ai commencé par m’y intéresser quand j’étais à Sciences Po, où j’ai découvert les gender studies et où j’ai rejoint l’équipe de la revue érotique L’imparfaite qui parlait de sexe à travers des reportages, des portraits, de la photo, de la fiction. Je me suis dit que c’était ce que je voulais faire : parler de sexualités et de genre comme d’un objet d’étude à part entière. Je ne voulais pas être chroniqueuse, je voulais raconter des histoires. Presque dix ans plus tard, c’est toujours mon métier ! Derrière mes idées de reportage, le but est toujours le même : essayer de comprendre la vie intime des autres dans ce qu’elle a de politique.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

Je me suis intéressée au travail du sexe parce que mon travail sur les sexualités m'a logiquement amenée à rencontrer des travailleuses du sexe. La première fois, c'était en 2017, j'avais rencontré des TDS qui exerçaient en camionnettes au bois de Vincennes pour un reportage et l'angle du papier c'était : pour qui elles allaient voter à la présidentielle. L’occasion aussi de parler de leurs réalités et des conséquences de la législation française, qui pénalise les clients de la prostitution. C'était une commande pour le site Vice et depuis, j'ai continué d’interviewer des travailleuses du sexe sur des sujets de société qui me tenaient à coeur : à savoir les questions de genre, de sexualité, de violences sexuelles, de militantisme de défense des droits humains. Au fil du temps, j'ai aussi interrogé mon regard en tant que journaliste sur ces femmes et j'ai eu envie de questionner les stéréotypes qui entourent le travail du sexe pour donner la parole aux concernées. Ce sont des personnes qui sont souvent exclues des conversations et notamment des conversations féministes, donc en tant que reporter et à mon échelle, j'ai eu envie de changer ça.

Quel est votre bilan personnel après l’avoir écrit, après avoir échangé avec ces travailleuses et travailleurs du sexe ?

Je suis très reconnnaissante envers les personnes qui m’ont confié leurs histoires et m’ont aidée dans ma réflexion. Mon bilan est d’abord professionnel : écrire sur ce sujet souvent mal représenté médiatiquement - de manière sensationnaliste ou exotisante notamment - m’a poussée à réfléchir à mon éthique journalistique, à écrire en disant “je” tout en donnant la parole aux concernées. J’en ressors grandie, car parler à des travailleuses du sexe, c’est aussi réléchir aux questions de désir, de normes, d’échange économico-sexuel. C’étaient des questions qui m’intéressaient déjà avant, mais que j’ai aimé partager avec mes interlocutricess, et je me suis rendu compte que, sans vivre la même réalité, ces questions faisaient aussi écho à mon vécu. Je ne voulais pas me cacher derrière une pseudo-neutralité et m’autoriser à parler de moi dans le livre, y compris de violences sexuelles et d’oppressions sexistes, a été libérateur pour moi.

Vous abordez un sujet rare, celui d’une prostitution lesbienne, pourquoi un tel tabou selon vous ?

Les représentations dominantes de la prostitution, qui correspondent à une réalité statistique, sont celles de l’homme client et de la prostituée femme. Or d’autres vécus existent, qui permettent de repenser ces représentations. C’est particulièrement le cas quand on parle de travail du sexe lesbien, qui existe. Je suis allée faire un reportage dans une agence d’escorts lesbiennes à Amsterdam qui n’accepte que ces clientes femmes et j’y ai découvert une toute autre réalité. Je pense que c’est encore tabou parce que l’invisibilisation des vécus lesbiens est quelque chose qui perdure aujourd’hui, et parce qu’il semble impensable à certaines personnes qu’une femme paye pour de la sexualité.

Le débat autour de la prostitution continue de faire rage dans la société, pourquoi selon vous ?

Parce qu’il est basé sur des représentations caricaturales qui semblent autoriser les personnes à s’appuyer davantage sur une idéologie que sur une approche pragmatique des réalités vécues par les travailleuses et travailleurs du sexe. Les rhétoriques s’affrontent au nom de ce que serait la “dignité” pour une femme. Ce qui me frappe, c’est que c’est l’un des sujes où, en tant que journaliste, j’ai vécu le plus de “mainsplaning” ou d’explications condescendantes de la part de personnes m’expliquant comment il fallait faire mon travail, alors qu’ils ou elles n’avaient jamais parlé à une travailleuse du sexe. Je trouve ça choquant. On n’a cessé de me demander si j’étais “pour” ou “contre” la prostitution, ce qui pour moi n’a pas de sens. Je pense qu'au-delà des questions idéologiques, la déontologie journalistique voudrait que nous lancions une vraie réflexion sur la façon dont les journalistes parlent des TDS.

Vilaines Filles. Pauline Verduzier. Editions Anne Carrière, collection Sex Appeal

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