Face à face : John Vigna & Joyce Carol Oates

Face à face : John Vigna & Joyce Carol Oates

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2/6/2017
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[dropcap letter="U"]n homme parle de la condition délicate de l’homme dans la société américaine, et une femme parle de la violence qui sourde chez un homme bien sous tous rapports. Deux angles, deux visions, deux facettes de la masculinité.

Loin de la violence des hommes. John Vigna.

Traduction de Marguerite Capelle. Pour son premier recueil de nouvelles, ce jeune canadien accorde une place de choix à la fragilité et la mélancolie masculines. En 8 nouvelles, il dépeint des hommes fragiles, las et malmenés par l’existence. Ni victime ni bourreaux, ces pères, frères, maris, amants, semblent surtout vouloir refuser les étiquettes et les rôles que la société voudrait leur imposer. Ils sont simples ces hommes, routiers, bûcherons, souvent abonnés au bar du coin, souvent trop seuls, portés par des rêves d’ailleurs qu’ils savent vains, par des souvenirs destructeurs et des occupations diverses comme remparts contre la trivialité du quotidien. John Vigna ne cache pas une profonde empathie envers ses personnages, jamais il ne les juge ni les malmène, jamais il n’aggrave leur situation ou ne les confronte à leurs paradoxes. Dans ce style si purement nord-américain, avec cette façon de planter les décors, les ambiances, et de garder un lien à la nature, l’auteur invite directement son lecteur dans des terres sauvages et rudes, où la demie-teinte semble de mise chez ses personnages. Editions Albin Michel

Valet de pique. Joyce Carol Oates.

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Traduction de Claude Seban. Il y a une chose qui m’échappe chez les grands écrivains : comment arrivent-ils, avec une trame assez convenue, à écrire un roman malsain et étouffant au possible ? Comment, en quelques pages, peut-on passer d’une ambiance un peu cliché à un polar schizophrénique ? Certes, Joyce Carol Oates fait partie des écrivains capables de déclencher l’horreur et l’anxiété en quelques lignes innocentes au premier abord. Certes. Mais on ne s’habitue jamais à cette finesse et à cette élégance ! Andrew J. Rush, écrivain connu et fortuné, bien tous rapports, écrit des romans policiers à succès. Il a des enfants, une femme, une maison, une situation. Comme beaucoup d’écrivains, il se sent un peu complexé mais… rien de bien méchant à l’horizon. Jusqu’à ce qu’une femme dérangée intente une action en justice contre lui pour plagiat. Anodin, l’événement va pourtant déstabiliser l’écrivain au point de creuser ce qui s’apparente à une légère schizophrénie pointée par sa femme. Il parle tout seul, il boit plus que de raison et oublie beaucoup de choses. Sans doute son « identité littéraire secrète », il écrit des polars ultra brutaux et violents sous le pseudonyme « Valet de Pique » sans que personne ne le soupçonne, ne l’aide-t-elle pas à garder les pieds sur terre… Or, au fr et à mesure que le stress va augmenter, le champs psychique d’Andrew va lentement commencer à vriller et se décrocher de la réalité. Petit à petit, c’est plus l’auteur de polars glauques et violents qui va dicter son comportement au paisible écrivain ronflant. Et se déploie, une fois de plus, le génie stylistique et psychologique de Joyce Carol Oates : d’un personnage sans grande envergure, elle arrive à un homme d’autant plus dangereux qu’il est insoupçonnable, d’autant plus impuni qu’il ne garde pas grand souvenir de ses actes et paroles. Entre les lignes, elle questionne la loi, le rapport à l’impunité, la place de la culpabilité dans une trajectoire et nous rend soupçonneux envers tous les paisibles pères de familles installés ! Editions Philippe Rey

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