Dossier traduction : Estelle Flory, éditrice de littérature étrangère chez Agullo

Dossier traduction : Estelle Flory, éditrice de littérature étrangère chez Agullo

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14/4/2018
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En quoi consiste votre métier, au quotidien ? Le cœur de mon métier consiste à faire en sorte que les textes que nous publions s’approchent le plus possible de la perfection. Sachant, bien entendu, que la perfection n’est pas de ce monde, l’idée est de polir les textes jusqu’à ce qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, sans perdre de leur spécificité, de leur personnalité. (Oui, j’ai tendance à les considérer comme des entités organiques.) Au quotidien, quand il s’agit de traduction, cela passe d’abord par le choix du traducteur (ou de la traductrice). Ensuite, une large partie de mon temps se passe devant un ordinateur, à relire et corriger les traductions que je reçois dans un processus d’allers-retours avec les traducteurs. Et puis il y a tout ce qu’on écrit autour du texte : les argumentaires de vente, communiqués de presse, et la quatrième de couverture. L’argumentaire, c’est un peu la carte d’identité du livre, sa première apparition à l’extérieur de la maison ; c’est le premier contact avec le futur livre qu’auront notamment les libraires. La quatrième de couverture, c’est l’étape suivante dans la chaîne du livre : c’est le premier contact qu’aura le lecteur avec l’univers du livre. Un exercice d’écriture difficile où il faut trouver l’équilibre délicat entre en dire assez pour entrouvrir la porte de l’œuvre mais pas trop pour ne pas déflorer le livre, attirer le lecteur sans donner l’impression de lui vendre la soupe….

La traduction est donc autant un travail sur la langue française que sur la langue d’origineComment arrive-t-on à coordonner des traducteurs quand on ne parle pas la langue qu’ils traduisent ?

Il faut garder à l’esprit que quand un lecteur découvre une œuvre traduite, il la lit en français. La traduction est donc autant un travail sur la langue française que sur la langue d’origine, et c’est là que j’interviens. Le plus souvent, j’aborde une traduction comme j’aborderais un texte écrit en français au départ. Et c’est peut-être justement cet œil extérieur qui me permet d’apporter quelque chose à une traduction. Forcément, quand on traduit (comme quand on écrit, d’ailleurs) on a le nez dans le guidon et le simple fait d’avoir un œil frais permet de corriger des petites imperfections, des imprécisions, des lourdeurs, des répétitions… Je suis aussi là pour poser des questions d’ordre plus culturel. Certains textes font allusion à des événements, des habitudes, des références culturelles ou historiques qui sont bien connus des lecteurs du pays d’origine (et en général des traducteurs qui connaissent très bien la culture des pays dont ils traduisent la littérature) mais qui laisseraient perplexe un lecteur français. Je me mets dans la peau de ce lecteur, et le plus souvent avec les traducteurs on trouve des solutions pour faire passer cet aspect culturel de la littérature soit directement en ajoutant une petite précision dans le texte soit, quand c’est impossible, en ajoutant une note.La traduction directe ne vous a-t-elle jamais tentée ? Il se trouve que je suis en train de travailler à mon tout premier essai de traduction pour une maison d’édition. Ça me plonge dans un état un peu schizophrène où mon moi-traductrice débutante prépare déjà mentalement les justifications de tel ou tel choix de formulation auprès de mon moi-éditrice, qui fait une moue intérieure, du genre « Mouais, ça se défend. ».

La littérature mondiale est d’une richesse infinie

De quel pays préférez-vous les livres ? Hmmm, dure question : la littérature mondiale est d’une richesse infinie et je suis très très très loin d’en avoir exploré tous les recoins. Chaque fois que je découvre un fragment de la littérature d’un nouveau pays, j’ai envie d’en découvrir plus, d’autres textes, d’autres pays. Un peu comme une liste de voyages à faire qui ne cesse de s’allonger. Par tradition familiale et parce que j’aime les textes longs, foisonnants, un peu fous, j’ai une tendresse particulière pour les Russes. Et parce que je lis l’anglais, j’ai beaucoup de coups de cœur pour des auteurs américains ou anglais (dernier en date : Allan Hollinghurst, peut-être le meilleur styliste en langue anglaise que j’aie jamais lu, chaque phrase est un diamant parfaitement taillé, limpide, d’une efficacité redoutable et sans l’apparence du moindre effort.) Mais un de mes auteurs contemporains préférés, à qui je vous une admiration de groupie, est portugais (Antonio Lobo Antunes) ; il y a des auteurs formidables du côté de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh ; l’Europe centrale est une mine d’or en soi, et juste à côté de chez nous, il y a quelques auteurs belges que je rêve de publier…

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