Portée sur les éditions collector soignées et enrichies d’illustrations bienvenues, la maison Callidor ressuscite Dracula dans un véritable écrin, enrichi par des aquarelles de l’artiste québécois Christian Quesnel, particulièrement à l’aise dans les mondes imaginaires.
Des chiens. Il en est bien question dans ce court roman noir, teinté de sang, de cigarettes et d’alcool. De chiens, comme une métaphore filée polymorphe, et d’histoires qui se croisent, de destins en suspens dans un Santiago du Chili corrompu et brutal.
Santiago Quiñones, flic moyen, se retrouve pris au piège dans une affaire de moeurs qui démarre avec la mort d’un collègue pendant une fusillade avec des narcotrafiquants, une fusillade et l’attaque d’un chien que Santiago abat à bout portant pour tenter de sauver son collègue. Va émerger une sordide affaire de détournement de mineures dans laquelle est empêtrée une bonne partie de la classe policière et politique de la ville.
Il y a des accents à la Crime de Irvine Welsh, où un policier en vacances démontait un réseau de pédophilie, ivre de justice et de revanche, dans le thème et la façon dont le flic s’accroche à sa justice. Ici, la donne est cependant différente car Santiago ne voulait pas vraiment hériter de cette affaire qui met sa vie en danger. Il va faire de son mieux, à la fois par curiosité et par ennui, aussi.
Santiago présente un certains nombres de traits caractéristiques du « bon flic de polar » : il fume trop, il boit pas mal, il ne refuse pas un rail de coke, son mariage part en vrille et il cache des failles personnelles vertigineuses. Il pourrait être caricatural, il ne l’est jamais. Il reste toujours en deçà de la ligne stéréotypée du flic torturé qui essaye de faire le bien tout en broyant du noir. Boris Quercia réussit un exercice délicat : jongler avec des clichés sans en laisser un nous tomber sur les pieds et casser notre lecture.
Il dessine un type tout en nuances et contrastes, l’ombre et la lumière se succèdent, creusent les traits de caractère et la psychologie de Santiago, un peu comme dans une BD américaine au noir et blanc stylisé. Le piège, Santiago le voit se dessiner puis se refermer lentement sur lui, et il continue d’avancer, autant par honneur que par désespoir. Par humanité, surtout.
Et le suspense s’ancre, immédiatement, soutenu par cette sympathie pour les personnages, l’empathie que dégage ce flic plein de compassion et de bonté, cette aversion lente envers le complot que l’on voit prendre forme de façon insidieuse et implacable. L’issue n’est jamais certaine quand un monstre tentaculaire tombe sur le coin de la figure d’un flic honnête, pas forcément un super limier, mais un type bien. Et on a un peu peur de ce qui va lui arriver dans cette ville polluée et sans pitié.
Tant de chiens de Boris Quercia. Editions Asphalte